
Broadcastability
Broadcastability is a podcast by, for, and about persons with disabilities in the workforce. / Broadcastability est un podcast par, pour, et à propos des personnes handicapées au travail.
Broadcastability is created by The PROUD Project at the University of Toronto, Scarborough. / Broadcastability est réalisé par Le Projet PROUD à l'Université de Toronto, Scarborough.
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Season 2 (2023-ongoing): ""The Experiences of Disabled Employees and Entrepreneurs in France, Belgium, the UK, and the USA."
Season 1 (2021-2022) "The Experiences of Successful, Disabled, Canadian Employees and Entrepreneurs."
Broadcastability
Myriam Winance : Les Ontologies - Théories de l'être - et L'expérience Vécue du Handicap
Pour cet épisode, nous avons exploré le travail de Myriam Winance, chercheuse française travaillant à l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Professeure Winance a exploré les relations existant entre les personnes en situation de handicap et leurs fauteuils roulants. Elle choisit une approche philosophique pour discuter des origines du langage utilisé pour décrir le handicap et les notions d'altérité et de différence.
Générique de l'épisode:
Animatrices : Chloë Atkins et Charlotte Flameng
Réalisatrices : Chloë Atkins et Charlotte Flameng
Art de couverture : Isabelle Avakumovic-Pointon
Musique : Justin Laurie
Transcription : Charlotte Flameng
Description:
During this episode we explore the work of Myriam Winance, French researcher at INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Professor Winance has explored the relationship between disabled people and their wheelchairs. She takes a philosophical approach to the origins of the language describing disability, and to notions of "otherness" and "alterity."
Credits:
Interviewers: Chloë Atkins and Charlotte Flameng
Editing: Chloë Atkins and Charlotte Flameng
Artwork: Isabelle Avakumovic-Pointon
Music: Justin Laurie
Transcripts: Charlotte Flameng
Broadcastability : Saison 3, Épisode 4 : Une conversation avec Myriam Winance : Les ontologies – Théories de l’être – et l’expérience vécue du handicap : Transcription française
Introduction [00 :00 :00] :
Myriam [00 :00:00]
Et puis, quand j'ai découvert le fauteuil roulant, je me suis dit, mais ça, c'est un objet fabuleux, en fait, pour comprendre justement notre relation aux objets techniques, parce que... alors fabuleux, parce qu'en fait c'est, c'est un objet qui reste détachable du corps, puisque, effectivement, on n'est pas, c'est pas une prothèse au sens strict, en fait. Ce n’est pas une, c'est pas quelque chose qui est attaché au corps. Et puis en même temps, c'est quelque chose qui est très proche du corps. Et donc qui permet en fait aussi d'analyser justement les différents rapports qu'on peut avoir avec un objet technique, depuis des rapports très instrumentaux.
Charlotte [00 :00 :45]
Bienvenue dans cette troisième saison de Broadcastability, un podcast par, pour, et à propos des personnes en situation de handicap. Broadcastability est une production du projet PROUD, basé à Toronto, au Canada. Visitez thePROUDproject.ca pour en apprendre plus.
Ce podcast a été enregistré et produit sur les territoires traditionnels et ancestraux des Huron-Wendat, des Senecas, des Anishnabés, des Chippewas, des Haudenosaunees et des Mississaugas de la rivière Crédit. Ce territoire est couvert par l’accord de la ceinture du wampum, dit « bol à une seule cuillère », qui est un traité entre les Anishnabés, les Mississaugas, les Haudenosaunees et les nations alliées, et qui vise à protéger les ressources des Grands Lacs et des régions environnantes. Ce podcast a également été partiellement produit sur les territoires des Musqueams, des Squamish et des Tsleil-Waututh.
Nous tenons également à reconnaître les différentes nations autochtones présentes sur l’île de la tortue, également appelée Amérique du Nord, où nous menons nos recherches et enregistrons ce podcast.
Nous sommes impatients de vous présenter les épisodes suivants, parce que, pour cette saison, on se concentre sur la recherche sur le handicap. Nous voudrions mettre en lumière certains individus qui se consacrent à des projets de recherche à propos du handicap à différents niveaux et à des endroits différents. Nous interviewons des étudiants, des défenseurs des droits de la personne, des universitaires et des professionnels qui nous offrent différentes perspectives sur les manières de faire de la recherche sur le handicap.
Chloë [00 :02 :15]
Dans cet épisode, Charlotte Flamenq me rejoint en tant que co-animatrice. Charlotte peux-tu te présenter s’il te plaît ?
Charlotte [00 :02 :25]
Bonjour à tous, je m'appelle Charlotte Flameng et je suis assistante de recherche avec le projet PROUD. J'ai étudié la neuropsychologie en Belgique et m'intéresse aujourd'hui à l'étude du handicap. Je suis très heureuse de prendre part à cette discussion qui s'annonce intéressante.
Aujourd’hui, nous parlons avec la sociologue et chercheuse française sur le handicap, Myriam Winance. Originaire de Belgique, elle est chercheuse à l’INSERM en France. INSERM signifie Institut national de la santé et de la recherche médicale. Son objectif est de promouvoir la santé de tous par l'avancement des connaissances sur la vie et la maladie, l'innovation thérapeutique et la recherche en santé publique.
Chloë [00 :03:07]
Professeure Winance dirige notamment une équipe de recherche qui se concentre sur les relations entre les personnes et leurs fauteuils roulants. Cette conversation touche à plusieurs sujets au-delà de sa recherche actuelle : les origines du langage, l’altérité, la philosophie et le handicap.
Introduction de l’invitée : Myriam Winance [00 :03 :30] :
Myriam [00 :03 :30]
D'accord, donc je suis Myriam Winance, alors je suis donc une femme. Et donc je ne suis pas en situation de handicap. Je ne suis pas handicapée. Et je suis sociologue et je travaille à l’INSERM, donc, qui est l'Institut de la Santé, de la Médecine et de la Recherche Médicale en France. Donc, qui est un institut qui regroupe plutôt des chercheurs en sciences, on dit dures, donc plutôt en biologie, en médecine, mais qui a aussi quelques laboratoires en sciences sociales et humaines.
Voilà et donc, je travaille sur les questions de handicap depuis maintenant un certain temps, puisque j'ai commencé à travailler sur le, sur cette question à la, pendant ma thèse, et puis surtout après ma thèse, donc à la fin des années 90. Et depuis, donc, j'ai suivi ce fil dans mes recherches.
Racines de cet intérêt pour la recherche sur le handicap [00 :04 :25] :
Chloë [00 :04 :25]
Quelles sont les racines de votre intérêt dans le sujet du handicap?
Myriam [00 :04 :33]
Alors, je dirais que c'est peut-être un croisement de différentes choses. C’est d'abord un peu les aléas, qui ne sont pas vraiment des aléas, mais le résultat, en fait, d'une trajectoire à la fois professionnelle et aussi d'une trajectoire de mes intérêts en fait. J'étais, quand donc moi, en fait, j'ai une formation de base en philosophie, j'ai commencé par faire la philosophie en Belgique d'ailleurs à Namur et puis à l'Université de Louvain-La-Neuve. Voilà, donc on a, j'ai un point commun avec vous Charlotte, puisque je suis Belge aussi, mais j'ai immigré en France.
Charlotte [00 :05 :19]
Je me disais que votre nom sonnait belge!
Myriam [00 :05 :24]
Oui, donc voilà, donc j'ai commencé par faire la philosophie et ce que j'aimais beaucoup dans la philosophie, c'est que c'est en fait une discipline qui nous apprend vraiment à nous questionner sur le monde. Et j'étais très intéressée, notamment, par les questions, par le temps et par l'espace, et par la relation avec les objets techniques.
Mais en fait, ce qui me dérangeait dans La philosophie, c'est que c'est une discipline, c'est un peu comme les mathématiques, en fait. On pose un certain nombre de postulats de base, et puis on joue avec tout ça. Et puis on, voilà, on pose des règles et c'est très agréable. En fait, c'est comme un jeu, finalement les mathématiques et la philosophie aussi, mais c'était très éloigné de la réalité.
Et donc après ce cette formation, donc, j'ai fait quatre ans de philosophie, j'ai fait un master qui était un master spécialisé dans ce qu'on appelle en anglais les Science and Technology Studies. Et en fait, quand je suis passée donc sur ce master, ce qui m'intéressait, c'était vraiment cette question, donc, du rapport aux objets techniques, de l'expérience du temps, de l'espace. Le corps aussi, c'est quelque chose qui m'intéressait beaucoup. Alors, dans le cadre de ce Master, finalement, j'ai travaillé sur la poupée, voilà, sur la manière dont les enfants jouaient et interagissaient avec des poupées.
Et suite à ce Master, voilà, j'étais toute jeune, j'avais 22- 23, ans, donc, je ne savais pas trop ce que j'allais faire dans la vie avec de la philosophie et puis cet intérêt quand même pour les objets techniques. Et là, ma directrice de mémoire m'a dit, mais vas voir à Paris, ils cherchent des gens, ils cherchent des gens pour faire des thèses. Et donc j'ai été me présenter au centre de sociologie et de l'innovation où j'ai rencontré donc Bruno Latour et j'ai aussi rencontré Michel Calon et Vololona Rabeharisoa, qui, à l'époque, cherchaient quelqu'un pour travailler sur la compensation des incapacités, sur la politique de compensation des incapacités, plutôt, qui était menée par l’AFM.
Donc l’AFM, c'est l'Association Française contre les Myopathies. Donc, qui est une grosse association. C'est l'association, pour ceux qui connaissent, qui organise le Téléthon en France, donc qui récolte des fonds pour les malades, pour la recherche sur les maladies neuromusculaires. Voilà, et ça, c'est un sujet qui m'intéressait parce que ça rejoignait vraiment mes intérêts sur cette question du rapport aux objets, du rapport au temps, à l'espace au corps aussi. Qu'est-ce que qu'est-ce que c'est, ce corps à travers lequel on vit? Et quelle est cette expérience du corps qu'on peut avoir à travers les objets techniques?
Et en fait, c'est comme ça que j'ai commencé une thèse, donc, qui était d'abord une thèse en fait vraiment sur cette question des capacités et des incapacités. Je voulais comprendre en fait comment, comment à travers le rapport aux objets techniques, ben, on pouvait acquérir des capacités, mais aussi surtout comment ça transformait, en fait, un peu le nos capacités et nos incapacités? Et donc comment aussi, à travers ces objets techniques, on pouvait être rendus capables, mais aussi incapables, en fait. C'était une redistribution, finalement, de ce qu'on pouvait faire ou pas faire. Donc comment ça changeait aussi notre expérience au temps, à l'espace.
Et donc, cet exemple des personnes donc qui étaient atteintes d'une maladie neuromusculaire, qui sont quand même des maladies très invalidantes et puis surtout qui sont progressives, me paraissait vraiment, pouvoir vraiment nous aider à comprendre cette question de la fabrication des capacités et des incapacités.
Et c'est en fait au bout de ma thèse que je me suis dit, en fait, OK, maintenant j'ai analysé comment, à travers ce rapport aux objets techniques, une personne acquiert des capacités et des incapacités. Mais et le handicap dans tout ça, en fait? Parce que c'est une notion que j'avais un peu suspendue pendant ma thèse, ce n'est pas quelque chose qui m'intéressait... qui m'intéressait, mais qui a vraiment surgi, finalement, au bout de ce cette analyse en me disant: Oui, mais si on a tous des capacités, des incapacités, pourquoi il y a certaines personnes qu'on va dire handicapées et pourquoi il y en a d'autres, qu'on dit valides, en fait? Et c'est comme ça en fait que j'en suis venue à m'intéresser au handicap.
Différences linguistiques par rapport au handicap [00 :09 :48] :
Chloë [00 :09 :48]
OK, d'accord. Je suis intéressée par la différence entre invalide et handicapé. Et peut-être on peut parler de langues, parce que l'anglais, il y a des arguments peut-être, des petits combats dans la communauté entre person with disabilities, disabled person. Quand j'ai fait nos recherches, j'ai découvert la phrase « personne en situation de handicap » et j'aime ça. Et est-ce que vous, pourriez-vous partager des choses, est-ce, que ça existe en français? Est-ce que vous pouvez décrire un peu?
Myriam [00 :10 :32]
C'est vrai que cette question du langage, c'est une question qui m'a fascinée en fait aussi, à une époque aussi, parce qu'il y a effectivement cette diversité des termes. Donc c'est vrai qu'en français on utilise toujours « personne handicapée » alors qu'en anglais ça a été complètement banni. C'est vraiment considéré comme péjoratif hein, handicaped person, c’est vraiment ce...
Chloë [00 :10 :56]
Ça arrive d'une histoire de personne qui est, it’s from when people begged. On fait le...
Myriam [00 :11 :03]
La charité.
Chloë [00 :11 :04]
Le Chapeau. Oui, oui, exactement, cap in hand, ça c'est pour les... Il y a des lois en Angleterre qui disent ça, c'est valide pour les personnes qui sont handicapées de faire ça, mais pas les autres.
Myriam [00 :11 :23]
OK.
Chloë [0011 :24]
Je vous interromps, je m’excuse.
Myriam [00 :11 :25]
Non, non, pas de problème, ça me fait réfléchir aussi. Mais donc c'est vrai qu'en français on a gardé le terme. Et puis a émergé, en fait, je dirais à partir des années 90, et puis ça s'est vraiment diffusé progressivement, et maintenant c'est généralisé ce terme, qui est « personne en situation de handicap », qui était, vraiment, je pense, une manière pour les francophones de prendre en compte justement tout ce que les anglo-saxons avaient pu développer autour du modèle social du handicap et autour aussi de de cette attention au vocabulaire, en fait.
Parce que c'est vrai que c'est, pendant longtemps les francophones, ils ont quand même regardé un peu les anglophones en disant: Oui, mais ça c'est du politiquement correct. Et quand on disait, c'est du politiquement correct, c'était presque, c'était un peu dédaigneux quand même, c'était un peu... Ils sont un peu tatillons les anglophones, mais voilà. Et en fait, c'est vrai que quand même je pense qu’un des apports du modèle social et des disability studies aussi des militants qui étaient eux-mêmes en situation de handicap, ça a été au contraire de montrer qu’il y avait une vraie performativité, en fait, du langage. Et que dire disabled person, person with disability, ou handicaped person, en fait, ça ne faisait pas du tout la même chose aux personnes. En fait, ça transformait, ça configurait leur expérience d'une certaine manière. Et surtout ça induisait une certaine manière de se comporter aussi à leur égard de la part des dits valides.
Et c'est vrai que du coup, en France... parce que il y a aussi une asymétrie, c'est que l'équivalent de disabled, ou de disability, ce serait plutôt « incapacité », en fait. Ce n’est même pas trop « invalide », c'est vraiment « incapacité ». Donc et ce serait si on le traduit en adjectif, ce serait du coup « personne incapable ». Mais ça, historiquement en France, ce n'est absolument pas, en français, ce n'est absolument pas entendable en fait. Parce qu'il y a vraiment pour le coup une image très péjorative autour des incapables. Parce que, historiquement, c'est comme ça qu'on a dénommé certaines personnes. Mais voilà, c'était vraiment très, très péjoratif et c'était vraiment une exclusion, en fait, de la société. Donc, voilà, dire « personne avec des incapacités », ça passe encore, mais dire les « personnes incapables », ça, ce ne serait vraiment pas possible, en fait, d'un point de vue symbolique et culturel.
Alors la notion d'invalidité, elle est un petit peu différente, je pense, parce que, en fait dans le système français, mais plus largement, je dirais, européen, la notion d'invalidité, elle a beaucoup été utilisée comme un statut administratif, en fait. Les invalides, c'est vraiment lié à un système de sécurité sociale. Et donc c'est, on parle encore d'ailleurs des invalides en sécurité sociale. Donc, c'est ceux qui ont une certaine protection, en fait. Et c'est lié aussi à l'usage du terme qui était les invalides de guerre, des invalides... Voilà, ceux qui étaient invalidés, en fait, par rapport au travail. Et c'est pour ça aussi que le terme ne marche pas en français.
Et par contre, « personne en situation de handicap », je pense que ça a vraiment été l'occasion de dire qu'en fait, le handicap n'est pas lié à une déficience ou à une caractéristique de la personne, mais à une situation. Et ça prenait en compte aussi, je pense, la spécificité française qui était de dire: dans cette situation, il y a des, c’est une interaction en fait entre des caractéristiques personnelles et des caractéristiques environnementales. Parce que les Français...
Chloë [00 :15 :32]
Et aussi la technologie aussi.
Myriam [00 :15 :35]
Voilà, voilà.
Chloë [00 :15 :37]
Je pense que c'est une relation de trois.
Myriam [00 :15 :40]
Oui, oui, oui. Parce que je pense que les Français sont toujours aussi moins radicaux que les anglophones dans les dans les déplacements qu'ils font.
Charlotte [00 :15 :50]
C'est ça en tout cas au niveau du langage.
Chloë [00 :15 :53]
Je pense que de temps en temps, les conversations de langage en anglais cachent un peu que la situation ne change pas beaucoup. Et ça, ça reste. Il y a une exclusion pour les personnes qui sont handicapées. Et ça, c'est, oui, de temps en temps, je suis frustrée par ça. Parce que nous parlons beaucoup de langage, mais il y a beaucoup d'autres choses qu'on doit faire. OK.
Liens avec le handicap [00 :16 :30] :
Est-ce que vous est-ce que vous avez des liaisons privées ou personnelles avec le handicap? Est-ce que vous avez des amis ou des cousins des autres, des personnes dans votre famille qui ont des handicaps?
Myriam [00 :16 :46]
Non, non, je pour le coup, et ça, c'est vrai que je... Parce que c'est une question qui revient souvent quand on travaille sur le handicap.
Chloë [00 :16 :55]
Oui. Bien sûr, oui.
Myriam [00 :16 :56]
Peut-être moins maintenant, je dirais, peut-être moins maintenant, mais quand j'ai commencé à faire mes recherches, elle revenait systématiquement. Parce que je pense que, à l'époque, donc surtout en France, il y avait très peu de recherches sur le handicap, et des gens ne concevaient pas qu'on puisse s'intéresser au handicap si on n'était pas soi-même, soit directement concerné, soit effectivement avec des personnes dans l'entourage.
Et donc, non, en fait, je voilà, je, mes enfants, j'ai trois enfants, mais ils sont en bonne santé et autour de moi... Enfin en bonne santé, de toute façon, on peut être en situation de handicap et en bonne santé. Ce n’est pas lié. Mais je voulais dire, ils sont valides, voilà autour de moi. Il n’y a pas de...
Handicap et idée de raison : influence du travail d’Eva Kittay [00 :17 :36] :
Chloë [00 :17 :36]
Nous partageons un peu d'histoire, je ne sais pas, éducative parce que j'ai étudié les philosophes politiques quand j'ai fait mes études. Et c'est intéressant, pour mes collègues qui sont en sciences politiques, c'est très difficile de les convaincre que le handicap est un vrai sujet politique, et parle et de la justice. Et c'est, pour moi je pense que l'idée d'une personne handicapée, c'est un bon exemple pour les études de démocratie, d'égalité. Parce que l'idée d'autonomie est détruite un peu par le handicap.
Et aussi l'idée, c'est la fondation de la loi anglophone, common law, l'idée de raison. Et aussi l'idée, la raison est détruite un peu aussi par les personnes qui sont handicapées, qui sont en situation de handicap. Pour moi, c'est très intéressant, ce challenge pour les philosophes.
Mais vraiment, pour moi, c'est, je pense maintenant, c'est mieux, mais avant, il y a une barrière contre l'idée que le handicap donne des choses dans la discussion d'égalité, de liberté, toutes les autres ressources dans la société.
Et j'ai lu ton article en auteur, et tu parles un peu de Eva Kittay, qui avait une fille qui était très handicapée. Mais est-ce que vous pourriez-vous partager un peu de ses idées et aussi de son influence sur vous, un peu?
Myriam [00 :19 :49]
C'est vrai que Eva Kittay, c'est une auteure qui m'a beaucoup inspirée, beaucoup influencé sur, je dirais les 10 dernières années. Parce que, Eva Kittay, c'est une philosophe aussi moi je ne me définis plus comme philosophe, mais Eva Kittay est une philosophe. Et je trouve que ce qui est très fort chez elle, c'est effectivement qu’elle ancre sa réflexion philosophique dans son expérience personnelle, puisque vous l'avez dit, elle est elle-même mère d'une, bon maintenant d'une jeune fille qui est effectivement une jeune fille, en France on dit, en français, on dit polyhandicapée. Donc en anglais, c'est multiple disabilities. Donc, c'est une jeune fille qui a des déficiences motrices, cognitives très importantes, donc avec des, très peu d'autonomie entre guillemets, comme on dit, que ce soit motrice ou même communicationnelle, puisque c'est une jeune fille qui n'a pas accès à des méthodes de communication alternatives standardisées.
Ça n'empêche que c'est une jeune fille, et ça, Eva Kittay le décrit très bien, une jeune fille qui a des possibilités de communiquer avec ses parents, mais sur, c’est des, ou ses proches, mais sur des modes très informels. Ce qui rend aussi compliqué parce que quand c'est informel, ça se transmet difficilement d'une personne à l'autre.
Voilà, mais donc, pour revenir à Eva Kittay, ce que j'avais trouvé très fort, c'est que, c'est comment elle raconte, et elle le raconte notamment dans son dernier livre, comment en fait, cette expérience va remettre en question tout ce qu'elle a appris pendant ses études de philosophie. Et notamment comme vous le disiez, ben finalement cette, comment dire, ce privilège qu'on accorde dans nos sociétés à la raison.
Et je trouve qu'elle a des mots très forts et qui sont aussi très durs, mais qu'elle peut dire sans doute parce qu'elle est elle-même, parce qu'elle est cette maman avec cette expérience particulière. Et elle écrit notamment: Comment est-ce qu'on peut croire à toutes ces conceptions philosophiques qui mettent sur un piédestal le sujet autonome, alors qu'on a devant soi un être qui est fabuleux, mais qui ne montre manifestement aucun signe, en fait, de raison.
Et ça, je l'avais trouvé extrêmement fort, d'abord, qu'elle le dise, qu'elle ose le dire, aussi parce que ce n’est pas toujours évident, en fait, d’avoir... Elle a des descriptions très dures aussi de sa fille où elle dit: Ma fille, elle est incapable de parler; incapable de bouger, incapable. Enfin voilà, elle fait la liste de tout ce que sa fille est incapable de faire, donc... Et ça aussi, dans le contexte actuel des disability studies ou des mouvements de personnes handicapées, ce n’est pas si facile que ça en fait à dire. Donc, j'avais trouvé ça très fort.
Et puis, à partir de là, en fait, elle remet en cause donc, toutes ces conceptions philosophiques. Elle remet en cause donc cette idée du sujet autonome. Elle propose donc, alors dans le, dans le prolongement de ce qu'on appelle les éthiques du Care, de fonder donc, la dignité de la personne humaine dans la relation de care. Et alors, quand elle dit « fonder la dignité de la personne humaine dans la relation de care », c'est à la fois fonder sa dignité en général, donc comme appartenant à l'espèce humaine, mais aussi dans sa singularité, en fait. Et ça, c'est ce que je trouve très fort, c'est qu'elle montre comment, en fait, dans cette relation de care, il y a la personne devient une personne humaine singulière, en fait, avec des qualités et avec des compétences qui lui sont spécifiques. Alors certes, qui ne sont pas des compétences à raisonner ou à ou à prendre des décisions, mais qui sont des compétences autres et qui permettent de ce fait, de construire et de valoriser une autre normalité.
Autres influences sur les recherches de Myriam Winance [00 :23 :55] :
Chloë [00 :23 :55]
C'est aussi une capacité émotionnelle. Oui, elle a parlé de ça, c'est une valeur qui est donnée pour le rayon des émotions. Oui, c'est, elle est très intéressante. Est-ce qu'il y a des autres auteurs, des autres personnes qui influencent vos recherches?
Myriam [00 :24 :25]
Alors, il y en a eu, alors, de différentes façons. Au début de ma carrière quand j'étais toute jeune chercheuse, donc en France, comme j'ai dit, il n'y avait pas beaucoup de recherches sur le handicap. J'ai été vraiment accompagnée et guidée par Jean-François Ravaud. Donc, Jean-François Ravaud, qui est un chercheur plutôt en santé publique, lui. Qui est lui-même en situation de handicap, mais qui connaissait très bien les disability studies. Et qui m'a vraiment, oui, accompagnée dans mon début de de carrière, pour trouver mes repères dans ce monde du handicap, autant théoriques que pratiques en France.
C'est quelqu'un, par exemple, qui, m'a emmené sur mes premiers terrains au CNCPH, quand j'ai commencé à travailler sur l'évolution des politiques du handicap en France. Donc, il m'a emmenée, en fait, là où ça se passait. Donc, le CNCPH étant le Conseil national consultatif des personnes handicapées.
Donc voilà, il y a eu Jean-François Ravaud.
Isabelle Ville est également quelqu'un aussi qui a influencé ma pensée. C’est, alors, pareil, il est peut-être moins connu aussi dans le monde anglo-saxon, mais c'est Henri-Jacques Stiker qui est en fait un anthropologue ou un historien du handicap, qui a écrit en France un livre qui est très connu et qui est très cité, en tout cas, dans le monde de la recherche, qui s'appelle « Corps infirmes et société ». Qui est vraiment une histoire en fait du handicap dans lequel il scinde, en fait, l'histoire en deux. Où il analyse vraiment comment le handicap, c'est une manière de se représenter un rapport à la norme, en fait. Et il analyse comment ce rapport à la norme évolue en fonction des périodes historiques.
Et il m'a influencée aussi parce que dans cet ouvrage, il, comment, aussi, il parle de l'altérité. Et il a une certaine conception de l'altérité, en fait, et, en lien avec la personne handicapée, où il dit notamment que la personne handicapée, c'est une figure de l'altérité qui nous, qui rappelle aux valides leurs propres limites.
Et moi, quand j'étais jeune chercheuse, ça, c'est vraiment quelque chose qui me scandalisait. C'est à dire que, pour moi imaginer de dire que la personne handicapée, c'était l'altérité, pour moi, c'était justement la mettre, la placer dans cette altérité et donc rendre impossible en fait la relation. Je me disais, mais à partir du moment où on a dit que l'autre est autre, comment on fait pour être en relation, pour être en interaction, en fait? On a d'emblée posé une distance qui paraît ensuite compliquée à restaurer, en fait.
Donc, c'est vraiment quelque chose qui me, voilà, contre lequel je me suis presque positionnée au début. En disant: Ben, non, en fait, il faut d'abord essayer de comprendre comment les personnes se fabriquent dans la relation, donc, et comment c'est dans la relation qu'on acquiert des capacités, des incapacités, mais aussi du coup des qualités.
Et puis, en fait, maintenant, quand je relis ses travaux, je me dis, mais il y a peut-être quand même quelque chose à comprendre. Il y a peut-être une interrogation à avoir autour de cette question de l'altérité. Et ça, c'est donc lié au fait que je relis ces travaux.
Projet de recherche actuel : Polyordinaire [00 :28:05] :
C'est lié aussi au fait que j'ai entamé depuis maintenant quatre ou cinq ans une recherche sur les familles dont un des membres est polyhandicapé. Donc, vraiment des personnes comme la fille d’Eva Kittay. Et c'est vrai que là, en fait, c'est des personnes qui sont, donc, je l'ai dit, avec des déficiences très importantes, des difficultés de communication très importantes. Et là, en fait, je me suis dit oui, à certains moments, quand les parents nous décrivent leurs enfants, il y a certains moments, ils les décrivent comme des personnes qui sont effectivement autres. Et c'est ça qu'il faut essayer de comprendre, en fait. C'est comment parfois, dans la relation, il y a production ou il y a fabrication d'une altérité qui fait que là oui, il y a une espèce de de distance presque incommensurable qui se crée.
Pour vous donner un exemple, peut-être, pour que ça devienne plus précis, je pense notamment, alors là, c'était dans un récit écrit et publié par une maman qui raconte la journée de son anniversaire, en fait. Donc, c'est le jour de son anniversaire. Et elle a une jeune fille donc, qui est polyhandicapée. Et elle explique comment, tout au long de cette journée, cette jeune fille a des comportements violents. Donc, elle commence en fait par, quand c'est le matin, elle commence par, parce que c'est quand même une jeune fille qui a une certaine mobilité, elle commence par aller déféquer dans la salle de bains. Après, au petit déjeuner, ça se passe mal. Pendant toute la journée, elle répète: mais d'abord ce n'est pas ton anniversaire, et puis c'est Noël. Donc, c'est une personne aussi qui a quand même un certain langage, mais qui est compliqué.
Ensuite, elles vont se promener, faire des courses. Et puis là, la jeune fille de nouveau a des comportements très violents, où elle réclame, je ne sais plus si c'est un ballon ou une pâtisserie. Sa maman lui accorde, et puis elle réclame à rentrer, voilà, alors que sa maman a envie de continuer à se promener. Elles vont dans la piscine après. Et puis là, c'est pareil, ça se passe de nouveau très mal. La jeune fille se met toute nue, ce qui fait réagir sa maman parce que sa maman, elle considère que, enfin, il faut garder une certaine intimité que ça peut être dangereux de se déshabiller comme ça.
Et la maman finit par réagir elle-même de manière très violente, en fait. Elle finit par je pense la gifler. Et dans son livre, elle écrit en fait ce que ça lui fait aussi d'arriver à cette violence. Et là, je me suis dit: Ben oui, là, en fait, dans ces interactions, au fur et à mesure de la journée, on voit comment finalement se fabriquent deux personnes qui sont effectivement deux altérités, en fait, qui ne se comprennent pas en fait, qui ne trouvent pas moyen d'interagir.
Et voilà, et c'est là que j'ai repensé aux travaux de Henri Jacques Stiker, en me disant: Oui, dans certaines situations, finalement, il peut y avoir fabrication d'altérité qui devient incommensurable, en fait.
Équipe et institut de recherche [00 :31 :21]
Chloë [00 :31 :21]
Il y a beaucoup de choses à penser ici. OK. Est-ce que vous pouvez vous parler un peu de votre équipe et de votre institut?
Myriam [00 :31 :27]
Alors, en fait, en France, la recherche, elle a une structure qui est toujours très compliquée à expliquer pour des non-français. Donc je suis intégrée dans un centre de recherche qui s'appelle, donc mon employeur, c'est l’INSERM. Mais en fait l’INSERM, c'est un institut qui a après des centres de recherche qui sont dispersés partout en France.
Chloë [00 :31 :59]
D'accord.
Myriam [00 :32 :00]
Et donc moi, je suis intégrée dans un centre de recherche, qui est un centre de recherche en sciences sociales de la santé. Donc, on est à peu près 30-40 titulaires. Mais donc, on travaille, ce qui nous rassemble, c'est la santé. Mais donc, il y en a finalement assez peu qui travaillent sur le handicap. Il y en a qui vont travailler sur la santé environnementale. Il y en a, qui vont travailler sur le cancer, etc. Mais finalement, assez peu de personnes travaillent sur le handicap. Et donc après, en fait, on construit des petites équipes qui sont des équipes de recherche qui vont travailler sur des projets particuliers.
Et donc, en ce moment, donc, je travaille sur cette recherche sur le quotidien des familles dont un membre est polyhandicapé. Et pour faire cette recherche, j'ai monté une petite équipe. On est six. On est six. Et dans cette équipe, on est principalement des sociologues, mais il y a aussi un chercheur acteur qui est en fait un chercheur qui travaille dans une association qui s'appelle Handéo, qui est une association qui s'est donné pour objectif d'améliorer l'accès aux droits des personnes handicapées, et qui pour ça mène des recherches action. Donc il y a lui.
Après, on a aussi une médiatrice. Parce qu'en fait Polyordinaire, c'est un projet de recherche participatif. Et donc j'avais envie, en fait, d'inclure et de faire participer des parents à toutes les étapes de la recherche. Et donc pour ça, je m'étais dit: « mais voilà, moi, je ne suis pas formée à la recherche participative ou, en tout cas, je commence, je débute. » Et j'ai des choses à apprendre. Donc j'avais intégré à l'équipe de recherche une médiatrice qui nous accompagne, en fait, vraiment dans la mise en place de la recherche participative.
Et puis, dans cette équipe, il y a aussi un parent chercheur qui est, en fait, une mère qui a d'abord participé à la recherche en tant qu'enquêtée entre guillemets et qui, à un moment donné, a dit: « Ben, moi, en fait, je voudrais faire les entretiens avec vous, je voudrais faire des analyses avec vous. » Et donc à ce moment-là, on l'a intégré dans l'équipe de recherche. Et par ailleurs, on l'a rémunérée.
Donc voilà, c'est une petite équipe. On est six, donc c'est une toute petite équipe et c'est une équipe temporaire entre guillemets puisque c'est pour le temps du projet.
Chloë [00 :34 :37]
Oui, et des bourses aussi qui... peut-être. Mais est-ce qu'il y a des personnes qui sont en situation de handicap qui font des recherches aussi ou non?
Myriam [00 :34 :51]
Alors, dans mon laboratoire, Jean-François Ravaud était lui-même en situation de handicap puisqu'il était, il est en fauteuil roulant. J'ai un doctorant qui est aussi en situation de handicap. C'est pareil, il est usagé de fauteuil roulant. Et après dans mon équipe Polyordinaire, là, il y a cette maman alors qui n'est pas elle-même en situation de handicap, mais qui est maman.
Sachant que c'est vrai que quand on est sur des handicaps comme le polyhandicap, c'est, ce ne serait sans doute pas impossible, et j'ai réfléchi et je me dis: voilà comment aussi les faire participer à la recherche? Mais les faire participer même ou les inclure même dans les équipes de recherche reste quand même relativement compliqué.
Et après en France, il y a quand même de plus en plus de chercheurs en situation de handicap. Je dirais que ça, c'est une des évolutions en fait, depuis 20 ans. Quand j'ai commencé, il y avait, il y avait Jean- François, et c'était à peu près tout. Maintenant, il y en a quand même de plus en plus.
Intérêt pour le fauteuil roulant et les objets techniques [00 :35 :55] :
Chloë [00 :35 :55]
OK, quand j'ai lu Researchnet, il y a une phrase qui parle de votre intérêt de la relation entre un fauteuil roulant et une personne. Et est-ce que vous pouvez parler de ça un peu?
Myriam [00 :36 :17]
Alors ça, ça a été vraiment un de mes premiers amours en recherche. Ça a été, je l'ai dit, c'était les objets techniques. Et puis, quand j'ai découvert le fauteuil roulant, je me suis dit, mais ça, c'est un objet fabuleux, en fait, pour comprendre justement notre relation aux objets techniques, parce que... alors fabuleux, parce qu'en fait c'est, c'est un objet qui reste détachable du corps, puisque, effectivement, on n'est pas, c'est pas une prothèse au sens strict, en fait. Ce n’est pas une, c'est pas quelque chose qui est attaché au corps. Et puis en même temps, c'est quelque chose qui est très proche du corps. Et donc qui permet en fait aussi d'analyser justement les différents rapports qu'on peut avoir avec un objet technique, depuis des rapports très instrumentaux. Parce que c'est vrai que voilà, j'ai fait beaucoup d'entretiens avec des utilisateurs de fauteuils roulants, et il y en a certains qui ont un rapport très instrumental au fauteuil roulant. En fait, c'est, le fauteuil roulant, c'est ce qui leur permet de se déplacer, mais ça ne ça ne vient en rien modifier, en fait, ou très peu, leur expérience corporelle, leur expérience de l'espace, leur expérience du temps ou même leur expérience de l'environnement, donc.
Et puis on a on a l'autre, l'autre extrémité, en fait, des gens qui vont avoir un rapport au fauteuil roulant qui est extrêmement incorporé, en fait. Où là, le fauteuil roulant devient une prothèse. Et ce n’est pas seulement le fauteuil roulant, c'est parfois ce fauteuil roulant là sur lequel je suis assis, avec lequel je construis...
Chloë [00 :37 :49]
Oui, exactement.
Myriam [00 :37 :50]
Une histoire et qui fait qu'on est usés, adaptés l'un à l'autre et qu'on peut, enfin que c'est très compliqué pour ces personnes, parfois de changer de fauteuil roulant.
Chloë [00 :38 :02]
C'est intéressant. J'ai une maladie neuromusculaire, donc j'ai utilisé un fauteuil manuel ou aussi électronique. Et pour moi, j’ai, c'est une maladie un peu rare, mais maintenant, je semble complètement normale, mais de temps en temps, je deviens tétraplégique, quadriplégique. Je ne peux pas respirer, toutes les choses. Et quand le fauteuil roulant, quand le jour arrive que je peux l'utiliser, je peux m'asseoir dans cette chaise, c’est une liberté. C'est Waouh, pour moi. C'est, c'est vraiment, je peux, je peux bouger, je peux aller ici, je peux aller. Ça me donne une autonomie.
Et aussi c'est la même pour une chaise manuelle, un fauteuil roulant manuel, mais c'est une relation... J'ai des enfants, et quand les aînés étaient petits, j'ai utilisé une chaise roulante tout le temps. Et j'ai une règle: tu peux jouer avec cette chaise, mais quand je demande la chaise, c'est absolument nécessaire que la chaise arrive maintenant. Et aussi, c'est absolument nécessaire que toutes les choses qui sont par terre n'est pas là, ne soient pas là, oui. Et c'est intéressant. Et vraiment pour moi, c'est, ça donne la liberté pour moi.
Et vraiment, la technologie est vraiment fantastique pour les personnes qui sont en situation de handicap. Et je pense, s'il y a une personne qui vit, qui habite dans une région, bon, ou peut-être dans une époque où il n'y a pas des lunettes, mais cette personne a besoin des aides. Et dans cette époque et dans cette région, cette personne est handicapée. Mais si cette personne existe ici, cette personne n'est pas handicapée. Et ça c'est la relation entre le temps qui rejoint la technologie, l'endroit et la personne. C'est très intéressant pour moi aussi.
Myriam [00 :40 :34]
Il y a ça, mais il y a aussi, moi, j'avais été étonnée par le fait que parfois des personnes avec des niveaux de déficience similaires, des niveaux d'équipement aussi similaires ne développaient pas du tout justement les mêmes, moi j'avais parlé d'habiletés, en fait, pour différencier justement des capacités et des incapacités. Et là, ça m'avait aussi interrogé, je me disais: « Pourquoi est-ce que des personnes qui sont dans le même type d'équipement avec le même niveau d'efficience, finalement, les habiletés qu'elles vont développer sont parfois très très différentes? »
Et ça, alors ça s'explique sans doute par plein de facteurs, et certains, la sociologie n'y a sans doute pas accès. Il y a sans doute aussi des facteurs psychologiques. La sociologie, souvent elle ne va pas vers là. Mais il y a aussi des facteurs parfois liés aux trajectoires biographiques des personnes qui, aussi à la manière dont elles mobilisent ou pas les ressources de leur environnement.
Et ça, je trouvais intéressant aussi. Et aussi parfois simplement la manière dont elles perçoivent le fauteuil roulant. Je me souviens d'une dame qui me disait: « Mais moi, le fauteuil roulant, c'est un intrus, en fait, c’est... » C'est une dame qui avait eu un accident de voiture et donc qui était, que je rencontrais aussi à un moment de sa trajectoire, l'accident était relativement récent. Et donc voilà, pour elle, le fauteuil roulant, c’était encore très compliqué et elle le vivait vraiment comme un étranger, en fait. Elle n'arrivait pas à le voir comme cet outil de vie, cet instrument de liberté que vous décrivez.
Différences au niveau du handicap entre la France et le Canada [00 :42 :17] :
Chloë [00 :42 :17]
C'est intéressant. OK, avant que nous ayons fini, j'ai des questions sur la France parce que quand nous avons fait nos recherches en France, la France m’a donné une surprise, OK. Parce que la loi de 6% existe et je pense qu'aussi la loi est enforcée. Et les lois ici ne sont pas enforcées de la même manière.
Charlotte et moi avons parlé de ça hier soir, de APF et les personnes qui travaillent à APF. Nous trouvons qu’ils sont heureux, et ils sont contents. Et ça c'est différent, parce que, c'est différent en Angleterre et au Canada. Mais en même temps, quand j'ai fait des entrevues avec les Français, la technologie, leurs fauteuils roulants sont primitifs en comparaison des choses qui existent ici. Et il y a un parti de moi qui dit: « Waouh cette personne, c'est un quadriplégique, mais elle reste dans une chaise manuelle. Il y a une aide tout le temps à côté d'elle. » Et ça et ça c'est très différent ici. On donne un fauteuil roulant électronique.
Est-ce que vous pouvez partager un peu vos pensées de France sur le milieu du handicap, le rayon de handicap?
Myriam [00 :44 :00]
Alors c'est marrant, je n'avais pas du tout cette vision-là, en fait, qu'il y avait un tel décalage entre la France et le Canada sur la dimension technique, notamment. Ça, vous me l'apprenez donc je trouve ça vraiment intéressant. Après il y a, c'est vrai qu’il y a des différences.
Le milieu associatif, en fait, et pas du tout, n’a pas la même histoire en fait que dans les pays anglo-saxons. Quand vous parlez de l’APF, qui est une vieille association, en fait. Parce qu'on présente souvent la France aussi comme un pays où il n’y a pas de mouvements de personnes handicapées. Mais ça en fait, c'est faux parce que l'APF, c'est une association de personnes handicapées, en fait. C'est une association qui est fondée dans les années 30 par des jeunes qui sont... alors c'est essentiellement des jeunes qui ont eu la polio, donc qui sont eux-mêmes en situation de handicap. Mais donc, c'est une association de personnes handicapées.
Mais effectivement, elle n'a pas développé le même type de militantisme que dans les pays anglo-saxons. Encore que, quand on regarde en fait, il y a quand même des similitudes en fait, mais qui prennent des formes différentes parce que l'histoire des pays et surtout l'état social, en fait, n'a pas la même forme, en fait, dans les pays anglo-saxons et en France. Mais voilà, c'est quand même des militants qui sont eux-mêmes en situation de handicap et qui ont effectivement une action de lobbysme relativement importante, en fait.
Et c'est vrai qu'ils sont, c'est un, je trouve que c'est un militantisme plus pacifique, en fait, plus pacifié que le militantisme parfois anglo-saxon, qui est très très tonique, en fait, très dynamique. Alors que c'est vrai que, en France, ces associations-là vont plutôt travailler par du lobbysme, en lobby vis à vis des politiques à travers la négociation, à travers...
Alors, maintenant, on voit émerger d'autres mouvements. Des jeunes générations portent d'autres mouvements. Et ça, c'est l'influence vraiment directe des mouvements anglo-saxons autour notamment des mouvements anti-validistes. Où là, il y a des jeunes collectifs qui sont en train de se former, qui ont un rapport au militantisme d'ailleurs très très différent par rapport à l’APF. Je ne sais pas si je réponds vraiment à votre question, mais si vous voulez que je précise, n'hésitez pas.
Chloë [00 :46 :47]
Myriam, y a-t-il autre chose que vous aimeriez ajouter?
Myriam [00 :46 :45]
Non, mais si je peux, est ce que je peux rebondir avec une question justement sur ces différences entre le Canada et la France? Par exemple, au niveau éducatif, c'est pareil? Vous pensez que la France est plus inclusive que le Canada au niveau de l'enseignement, par exemple des universités, surtout l'enseignement supérieur, je dirais?
Chloë [00 :47 :16]
C'est intéressant. Je pense qu'au Canada, c'est plus inclusif au niveau de l'éducation qu’en France. Et si j'ajoute tous les degrés, toutes les qualifications, le Canada, peut-être, est le plus haut de cinq pays, des États-Unis, de France, d’Angleterre, de Belgique. Mais aussi, en France, il y a deux personnes qui n'ont pas reçu une éducation. Euh, alors, comment dit-on?
Charlotte [00 :47 :51]
Dans les participants qu'on a rencontrés, il y avait deux personnes qui n'avaient jamais passé grade 2, c'est la deuxième année primaire, en fait, qui n'avaient pas pu terminer leur éducation.
Chloë [00 :48 :07]
Et nous avons parlé avec des Français qui ont dit qu'il n'y a pas des accommodations dans les écoles. Il n'y a... Donc, au niveau de l’éducation, je pense que la France manque quelque chose, OK?
Mais ici pour nous, le problème, on peut avoir une éducation ici, mais il n'y a pas des emplois. Oui, ça, c'est la difficulté. Les racines du projet dont Charlotte parle c'est parce que j'ai eu une maladie qui est visible et invisible. Et quand j'utilise un fauteuil roulant, c'est impossible de réussir dans le marché des emplois pour les profs. Mais avec le même CV, mais avec le même résumé, quand je marche, il y a beaucoup d'offres des universités. Donc, je pense, « wow, si j'ai un handicap visible, c'est vraiment difficile de réussir, d'avoir des emplois, de travailler. »
Donc, maintenant pour moi, la barrière vraiment, c'est financier. Et les pensions, les assistances, l'assistance pour les personnes qui sont en situation de handicap au Canada, je pense que c'est, ils sont faibles en comparaison de la France. Et je pense que la France soutient un peu les personnes qui sont en situation de handicap. Et je préfère, je pense que si on soutient la population, la population, je pense, devient plus capable d'entrer dans le marché de l'emploi, mais ça, c'est mon idée.
Charlotte [00 :50 :15]
C’est ça. On dirait qu'il y a plus de pression sur les entreprises, en fait, pour pousser à l'emploi de personnes en situation de handicap en France qu'au Canada, où c'est, il y a beaucoup moins de pression sur les entreprises.
Myriam [00 :50 :33]
Oui, il y a quand même des, c'est vrai qu'il y a quand même une politique en fait. Après, bon, ça... peut encore mieux faire, ça, reste, voilà, ça reste très très compliqué, ça reste très très compliqué. Mais effectivement, il y a une politique d'encouragement. Et il y a un fond en fait, un fond, alors c'est ça s'appelle l'Agefiph, qui est en fait une agence de financement des aménagements dont ont besoin les personnes en situation d'emploi, en fait. Donc....
Chloë [00 :51 :03]
Je pense pour moi, c'est la barrière, c'est les employeurs, pas les personnes qui sont en situation de handicap, mais...
Charlotte [00 :51 :10]
Bien sûr.
Conclusion [00 :51 :11] :
Chloë [00 :51 :11]
OK. Et merci, merci beaucoup pour cette conversation et j'espère peut-être que dans le futur, notre piste se croise et peut-être on fait des recherches dans le futur, mais... Si c’est possible.
Charlotte [00 :51 :25]
Je pense que vous avez des profils très très compatibles aussi dans les recherches que vous avez faites. En tout cas de cette conversation d'une heure ici, j'ai l'impression qu'on pourrait continuer.
Chloë [00 :51 :37]
Mais oui, oui, bien sûr.
Myriam [00 :51 :40]
Oui, avec, ce serait avec plaisir. Et merci beaucoup pour votre invitation.
Conclusion [00 :51 :44] :
Chloë [00 :51 :44]
Wow, j’ai profité de cette conversation !. Nous avons découvert une facilité à parler entre nous. C’est un plaisir de parler à quelqu’un qui pense si analytiquement au handicap comme un état ontologique - un état d’être.
Charlotte [00 :52 :04]
Et, ce qui est intéressant, c’est qu’elle est arrivée à son sujet par une exploration de questions théoriques et non en tant que personne handicapée. En vous écoutant tous les deux, il m’a semblé que vous partagez un grand nombre de pistes de réflexion et d'études potentielles.
Chloë [00 :52 :20]
Oui, j’ai ressenti la même chose. J’espère que nos auditeurs l’ont apprécié autant que nous !
Charlotte [00 :52 :28]
Cet épisode de Broadcastability était mené par Chloë Atkins, professeure à l’Université de Toronto et chercheuse anti-validiste, et par Charlotte Flameng, assistante de recherche pour le projet PROUD. Cet épisode fut également édité par Charlotte Flameng. Isabelle Avakumovic-Pointon a créé l’art de couverture et Justin Laurie a composé la musique. Broadcastability se trouve sur Apple Music et Spotify, ainsi qu’à broadcastability.ca. Broadcastability est une production du projet PROUD, basé à Toronto, au Canada. Visitez notre site, fr.theproudproject.ca pour plus d’informations.