Broadcastability

Une conversation avec Vincent Léone: Les technologies de l’inclusion

Season 2 Episode 1

Dans cet premier épisode de la deuxième saison de Broadcastability, les animatrices Chloë et Isabelle acceuillent Vincent Léone, expert en technologies. Vincent habite en Belgique et il a une déficience visuelle. Vincent discute de son propre parcours professionel et l’importance du réseautage, ainsi que des opportunités et défis des technologies inclusives.

Vous pouvez trouver une transcription de l’épisode accessible aux lecteurs d’écran ICI.
Vous pouvez aussi trouver une version vidéo de l'épisode avec sous-titres ICI.

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For the first episode of Broadcastability Season Two, hosts Chloë and Isabelle welcome Vincent Léone, a blind tech expert from Belgium. They discuss Vincent’s own career, the importance of networking, and the opportunities and challenges of accessible technology! (Episode in French)

You can find a screenreader-accessible version of the French transcript HERE.
You can also watch a video version of this episode with subtitles HERE.

Générique de l'épisode:

Animatrices: Chloë Atkins et Isabelle Avakumovic-Pointon

Réalisatrices: Chloë Atkins et Isabelle Avakumovic-Pointon

Monteuse:   Isabelle Avakumovic-Pointon

Art de Couverture: Isabelle Avakumovic-Pointon

Transcription: Isabelle Avakumovic-Pointon

Musique: Justin Laurie


Reconnaissance du financement:

Nous remercions Scarborough College à l’Université de Toronto et nos partenaires communautaires, la station radio Indie 88, l’association Disability Rights UK, et le projet de recherche SORD à l’Université de Manchester, pour leur aide. Nous tenons également à remercier nos partenaires financiers : le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et TechNation.



Vincent:

Et la technologie... il y a quelque chose de magique. Ça nous aide vraiment chaque jour. Mais si c'est mal utilisé, ça peut très vite devenir une source d'exclusion... Mais moi, je n'ai pas envie que ça arrive ça, et donc j'ai choisi d'avoir toutes les clés en main pour expliquer à d'autres personnes correctement comment elles peuvent tirer le meilleur parti de la technologie pour être le plus indépendant possible.

 

Chloë: :

Bienvenue à Broadcastability, un podcast pour, par, et à propos des personnes en situation de handicap dans le milieu professionnel. Ce podcast fait partie du Projet PROUD à l'Université de Toronto. Pour plus d'informations, veuillez consulter notre site web fr.theproudproject.ca

 

 Isabelle:

Le projet PROUD est basé à l'Université de Toronto, sur les territoires traditionnels et ancestraux des Huron-Wendat, des Sénèque et des Mississauga de la Rivière Crédit. Nous aimerions également reconnaître les autres terres autochtones de l'Île de la Tortue où nous menons nos recherches et enregistrons ce podcast dont les territoires traditionnels ancestraux et non cédés, des Premières Nations Musqueam, Squamish et Tseil-Waututh.

 

Chloë:

Bonjour, je m'appelle Chloë Atkins. Je suis la chercheuse principale du Projet PROUD. Je suis professeure de sciences politiques à l'Université de Toronto et je recherche les enjeux du handicap. J'ai une maladie épisodique qui fait que j'ai beaucoup d’expérience personnelle avec l’emploi et le handicap.

 

 Isabelle:

Bonjour, je m'appelle Isabelle Avakumovic-Pointon et je suis l'assistante de recherche pour le Projet PROUD. Je suis étudiante en doctorat à l'Université de la Colombie-Britannique et je recherche l'histoire des personnes en situation de handicap. Du côté personnel, j'ai moi-même des handicaps invisibles. Alors, notre premier invité de la deuxième saison de Broadcastability est Vincent Léone. Il est un expert dans le domaine des technologies et il habite en Belgique.  Vincent travaille comme salarié au CRETH, le Centre de ressources et d'évaluation des technologies pour les personnes handicapées, ainsi que comme indépendant chez Apple.

 

Chloë:

Oui, les technologies le passionnent et il encourage l'utilisation des technologies accessibles pour avancer l'inclusion des personnes en situation de handicap. Dans cet épisode, Vincent raconte son propre parcours professionnel et il partage ses conseils pour améliorer l'inclusion des personnes handicapées dans le milieu professionnel.

 

 Vincent:

Du coup, moi, je suis  Vincent Léone. J'ai 33 ans, je travaille dans le secteur des technologies. Mon problème de vue est arrivé un petit peu après la naissance et donc c'était la panique à bord, le stress complet pour mes parents. Et quand c'est déjà pas facile d'être parent avec un enfant qui voit, mais là, il y avait une petite difficulté qui s'ajoute en plus, qui s'est ajoutée. Et donc le premier contact, ça a été le corps médical., finalement. C'est le médecin qui a dit, OK, votre enfant, il ne va pas bien voir et on pourra jamais rien faire pour lui. Et donc en fait, c'est c'est ce corps médical qui a conseillé à mes parents que je sois dirigé un petit peu vers l'enseignement spécialisé. Et c'est comme ça que tout a commencé, sauf que mes parents, ils ont très vite dit OK, sans doute, c'est une bonne solution, mais ils ne voulaient absolument pas que je reste avec d'autres personnes déficientes visuelles tout le temps, 24 h sur 24, parce qu’ils avaient peur que je ne développe pas les bons codes, quoi, les bonnes manières de faire socialement et ça je pense qu’ils avaient vraiment raison et donc je faisais le trajet chaque jour. C'était 2 h de trajet pour aller à l'école. Mais avec le recul, c'est la meilleure chose qu'ils ont pu faire parce que je constate autour de moi que d'autres personnes déficientes visuelles que je croise et qui sont focus 24 h sur 24 dans un enseignement spécialisé, dans un internat et tout, forcément les codes sociaux ne sont pas là.

 

 Vincent:

Et c'est dommage. Et donc j'ai grâce à ça, quand je rentrais à la maison, ils me rappelaient que, en fait, non, les gens qui voient, ils regardent les gens dans les yeux. Donc toi, tu vas aussi nous regarder dans les yeux. Ils m’ont appris ça, à regarder les gens dans les yeux et voilà. Je vivais comme si j'avais aucune... Comme si mon problème de vue n'existait pas. Mais tout en ayant à l'esprit qu'il est quand même là. Parallèlement à l'école, quand j'étais plus petit, mes parents, ils m’ont inscrit dans un mouvement de jeunesse. Et donc ça veut dire que tous les week ends, je rencontrais d'autres personnes qui, elles, voyaient, voient et on faisait. Il y avait toutes sortes d'activités qui étaient organisées et donc très vite, avant même d'étudier la pédagogie. En fait, j'ai dû expliquer à ces personnes, à mes camarades OK, et je ne vois pas bien, donc voilà. Aussi aux animateurs qui étaient là. Très tôt, j'ai dû le faire. Et et voilà, c'est sûr que... si on jouait à cache cache, ça ne marchait pas pour moi. Ils resteraient caché longtemps, quoi.

 

Chloë:

Oui.

 

 Vincent:

Et ça, c'est toutes des petites choses qu'on a dû mettre en place et ça m'a vraiment beaucoup aidé pour la suite, de très, très tôt devoir expliquer mon handicap, finalement. Comment, comment je fonctionne Et en fait, ça m'a permis de me rendre compte que si tu explique à quelqu'un comment, comment il faut faire, que tu lui donne les bonnes clés, généralement ça fonctionne très très bien. Très souvent, c'est parce qu'il y a une méconnaissance en face que ça ne fonctionne pas ou que les choses sont plus compliquées.

 

 Vincent:

Mais si tu... Avec le recul, je trouve que c'est de ma responsabilité aussi d'expliquer à la personne en face de moi qui n'a jamais vu une personne non-voyante ou malvoyante, comment il faut faire, comment ça fonctionne. Je ne peux pas lui en vouloir, c'est normal, il ne connait pas, vous voyez? C'est bien, c'est normal. Et donc du coup, petit à petit, comme je l'ai fait très tôt, c'est naturel pour moi de faire ça.

 

 Isabelle:

Oui, et je vais juste demander, parce que vous parlez de la magie de la technologie, pourriez-vous nous décrire votre première expérience avec la technologie accessible à vous ?

 

 Vincent:

Alors, au tout début du début, ma première expérience avec la technologie, c'était un ordinateur équipé de Windows, mais un ordinateur qui avait un lecteur d'écran, mais un lecteur d'écran qui fonctionnait en mode de démonstration. Concrètement, cela veut dire que toutes les 40 minutes, je devais redémarrer mon ordinateur pour relancer la technologie d'assistance. Et c'était c'était folklorique parce qu'en fait, parce que mes parents, sans être sûrs que ça allait fonctionner, ils ne voulaient pas investir 1 500 €, juste dans un logiciel, quoi, C'était pour eux c'est quand même une somme importante. Et si ça ne fonctionnait pas bien, qu'est ce qui allait se passer ? D'autant plus que mes parents, ils n'ont pas un bagage technologique... oui, ils s’intéressent et c'est très bien pour eux. Ça marche. Ils sont très contents, mais c'est tout. Ils vont pas commencer à chercher, ils ne sont pas passionnés par tout ça. 

 

 Vincent:

Par contre, j'ai rencontré une personne qui s'appelle Pierre et qui est qui était éducateur à l'époque dans cette école. Et lui, c'est lui qui m'a transmis le virus, cette passion pour la technologie. Il était vraiment passionné par la technologie, il était excité. Il montrait montré un clavier, il arrivait à te dire qu'un clavier, c'était dingue, génial, c'était super. Et en fait, Et en fait, quand j'allais le voir, il n'y pas de cours vraiment. Mais juste... on était assis, on parlait de la pluie et du beau temps. Et moi je lui disais j'ai envie d'apprendre ça. Il dit ah oui, ok, demain je te ramène un livre, demain je... et il m’a toujours encouragé vraiment à poursuivre, à poursuivre toutes mes toutes mes idées, parfois un peu folles que j'avais et et c'est en fait, c'est ça, en fait, l'attitude qui m'a vraiment tirée vers le haut.

 

 Vincent:

Et c'est fou parce qu'aujourd'hui, c'est mon collègue. Sans doute que si je n'avais pas rencontré, je ne vous parlerai pas aujourd'hui. Ça, ça c'est sûr. Et ensuite j'ai étudié la pédagogie dans une école tout à fait traditionnelle, dans une haute école, parce que j'ai toujours... J'ai assez vite compris que la technologie, ça représentait vraiment un tremplin pour une personne qui a un handicap. Et je voulais que tout le monde profite de tout ce que les technologies pouvaient apporter à une personne déficiente visuelle parce que moi même j'en profitais chaque jour et que ça me permet de vivre en ne voyant pas grand chose. Et je trouvais ça magique. Et donc j'ai étudié la pédagogie parce que apprendre à quelqu'un, ça ne s'improvise pas, quoi.

 

 Isabelle:

Est ce que c'était facile de vous enregistrer à la Haute école ? Ou est-ce qu’il y avait des soucis à vous intégrer dans cet environnement après avoir fait vos études en école spécialisée ?

 

 Vincent:

Alors en fait, il y a eu des complexités que je ne concevaient même pas à l'époque. J'ai toujours été un peu. Peut être que je faisais les choses à l'envers. J'ai toujours été un peu fonceur et donc ce que j'ai fait, c'est que j'ai d'abord été voir les enseignants... avec qui j'allais travailler pour expliquer

 

 Vincent:

OK, Alors je ne vois pas bien, mais tout se passe, tout va bien se passer. J'ai un ordinateur, on va pouvoir travailler ensemble et ça, je l'ai fait à l'occasion d'une porte ouverte. Il y avait une porte ouverte où ils présentaient toutes les options possibles. Et moi j'ai été voir chaque enseignant. Je ne savais pas exactement qui, avec qui j'allais me retrouver, mais tous les enseignants en tout cas de ces sections pédagogiques

 

 Vincent:

Et donc très vite, eux, ils m'ont dit mais c'est super, ça va être un beau défi pour nous et aussi pour pour les personnes qui seront avec toi. Parce que si un de tes camarades doit t'expliquer une image que toi tu ne vois pas pédagogiquement, c'est intéressant, quoi. Et donc moi j'étais parti, j'étais parti confiant, j’ai dit, bon OK, tout ça, ça va très bien se passer.

 

 Vincent:

Et quelques mois plus, peut être un mois et demi plus tard, je suis retourné à cette école pour m'inscrire, cette fois pour plus l'aspect administratif des choses. Et là, ils n'ont pas voulu m'inscrire... parce qu'ils disaient non, non, non, nous, on n'a pas le matériel nécessaire pour adapter, on ne va pas imprimer en braille tous tes cours, c'est pas possible.

 

 12:36:07 -  13:06:07

 Vincent:

Et moi j'ai expliqué, mais pas besoin d'imprimer en braille, pourquoi faire? Fin, non. Et ils ne comprenaient pas ça, ils ne comprenaient pas. Et donc en même temps, pendant cette période, je devais m'inscrire mais je devais trouver aussi un logement et donc tout était lié, vous voyez ? Et si je n'étais pas inscrit dans cette école, ça veut dire que tout le projet était remis en question.

 

 Vincent:

Et puis je suis parti. J'ai dit bon, OK, ils ne m’inscrivent pas ils ne m’inscrivent, pas. Et j'ai pris un peu de temps pour réfléchir à une stratégie, qu'est ce que je fais maintenant ? Et en fait, j'ai la grande chance que dans ma famille, ma marraine est enseignante et elle m'a expliqué qu'en fait, c'était impossible. Que légalement, ils ne pouvaient pas ne pas m'inscrire et que si je leur demandait un document, un papier qui dit que ce n'est pas possible, que alors, que voilà, ces papiers, ils ne pourraient pas le faire. Et c'est ce que j'ai fait et du coup, j'ai réussi. On a réussi à s'inscrire comme ça, quoi.

 

 Isabelle:

Wow. Quelle histoire.

 

 Vincent:

Ça, c'était remuant, mais oui, c'était remuant. Mais juste, ils ne connaissaient pas... Ils n'avaient jamais vu un déficient visuel de leur vie, je crois.

 

 Isabelle:

Alors avec les professeurs, c'était pas trop, trop difficile.

 

 Vincent:

Ben c'était... Non, c’était intéressant parce que la chance, c'est toujours que je maîtrisait la technologie et qu'ils étaient rassurés. Et donc le truc c’était de bien s'organiser. C'est sûr que moi, je, fin on demandait qui’ils nous envoient les cours, qu’ils m'envoient les cours à l'avance, pour être sûr que je puisse ouvrir, que je constate, OK, est ce que c'est accessible ou pas. Et que, si c'est pas accessible, alors je renvoyait ce cours à une personne qui faisait vraiment la retranscription, qui retapait tout, qui supprimait les éléments superflus et c'était... oui oui. Et donc parfois, fin, souvent ça se passait très bien et parfois, ben voilà, il y a des personnes qui ne sont pas organisées, qui seront jamais organisées, et donc je recevais les cours le jour même.

 

 Isabelle:

Wow !

 

 Vincent:

Et bon ça, c'était compliqué. Mais on trouvait toujours des solutions parce que, en fait, aussi, moi je prenais note avec mon Mac, avec mon ordinateur à l'école. Et tandis que, à ce moment là, les autres qui étaient autour de moi, mes camarades, eux, prenaient note avec, ils écrivait avec un bic et puis ils rangeaient tous ces cours et hop hop, très vite on part, le cours est fini. Et la semaine d'après, ah, je ne sais plus où j'ai mis mes notes ou je ne sais pas me relire parce que j'ai écrit très très vite. Et moi je pouvais donner mes notes alors en échange. Et eux, en échange, ils m'aidaient sur des choses quand c'était plus compliqué. Et finalement c'était win win, quoi.

 

 Isabelle:

Oui, oui, oui.

 

 Vincent:

Et ça, c’était... C'était magnifique, vraiment. Et ça, c'était, c'était des études qui m'ont très fort passionné, c'était passionnant. Et là, j'ai encore mieux compris, pendant cette période, l'impact positif que la technologie pouvait avoir aussi en termes d'inclusion. Parce que c'est un outil qui fait vraiment tomber la barrière de la différence. Parce que, quand je suis arrivé dans ces études.

 

 Vincent:

Bon, OK, c'était un peu le choc parce que précédemment, j'étais dans un environnement tout à fait spécialisé. C'était très confortable. Tout le monde savait que je voyais pas bien, bon OK, tout se passait sans trop de difficulté. Et là, chaque jour, je devais expliquer aux enseignants OK, je ne vois pas bien, il faut... on va faire ça comme ça.

 

 Vincent:

Je devais leur donner des conseils pratiques pour que tout se passe bien. Et là, j'ai vu que quand ils ont réalisé que j'utilisais un Mac comme n'importe qui peut utiliser. Alors là, tout de suite, ils étaient plus, ils étaient moins stressés, plus détendus, plus ouverts à la discussion. Et voilà. Et aussi, mes camarades que je me suis fait là pendant ces études, ça a vraiment aidé, la technologie.

 

 Isabelle:

D’accord. Alors après, ou plutôt pendant vos études de pédagogie, comment est ce que vous avez trouvé votre premier emploi ?

 

 Vincent:

Alors, en fait, en même temps que j'étudiais, je réfléchissais à ce que je voulais faire et quel sens ça avait pour moi, quoi... Je voulais faire quelque chose qui avait vraiment du sens pour moi. Je me suis dit si je me lève chaque jour pour travailler, il faut que ce soit passionnant, que je m'embête pas.

 

 Vincent:

Sinon voilà, j'ai autre chose à faire. Et donc. Et donc je suis resté sur cette idée de permettre à d'autres personnes déficientes visuelles de profiter un maximum de la technologie. Et j'ai écrit... À l'époque, j'étais inscrit sur une liste de discussion par mail et j'ai écrit OK, mon mon idée en quelques lignes que je voulais former d'autres personnes sur les technologies Apple.

 

 Vincent:

Parce que voilà. Et j'ai expliqué, j’ai développé un petit peu. J'ai reçu des réponses d'associations qui m'ont dit Ah, c'est super et tu peux venir nous voir et on va parler. Donc j'allais chez eux, je faisais des démonstrations, je suis allé dans ces associations, je faisais des démonstrations, mais ensuite, ben juste, soit il n'y avait plus rien par la suite ou soit ils disaient OK, donne-nous tes notes, tes choses, on peut continuer à parler, mais il y avait pas.... Je n'arrivais pas à franchir l'étape de professionnaliser, professionnaliser la chose.

 

 Isabelle:

Est-ce que vous étiez payé pour ces enseignements ?

 

 Vincent:

Non. Et moi, j'ai toujours pensé que, en fait, si tu travailles, c'est juste normal que tu sois rémunéré. Oui, oui. Et donc jusqu'au moment où quelqu'un qui venait de lancer une association pour déficients visuels un petit peu différente des autres m'a appelé et il m'a dit, ah, moi ça m'intéresse, on va boire un verre ensemble, et puis raconte-moi un peu le Mac et l'iPhone, et cetera. Et donc je vais boire un verre avec cette personne

 

 Vincent:

Je lui explique que c'est génial, que vraiment il doit acheter ça, que ça va changer sa vie, fin avec tout mon enthousiasme et et puis et puis, le lendemain de Noël, je me souviendrai toute ma vie, j'ai reçu un message, il était écrit, Voilà, je viens d'acheter mon Mac est-ce que tu peux venir à la maison m’apprendre à l'utiliser?

 

 Vincent:

Et si je sais l'utiliser, alors on peut réfléchir à faire quelque chose ensemble. Et pendant cet apprentissage là, par contre, j'ai été payé vraiment pour chaque heure de cours. Oui, parce qu'il avait compris. On était sur la même longueur d'ondes, quoi. Vraiment. Et ensuite, tout s'est bien passé. J'ai pu, j'ai pu développer ce département de formation technologique, mais aussi m'occuper de tout ce qui était interne à l'association pour que tout le monde puisse gérer ses mails, mettre en place tout le côté technologique.

 

 Vincent:

mais pour le fonctionnement interne. Et ça, c'était passionnant, c'était super. C'était à la fondation I See. J'arrivais dans une jeune association qui avait un an d'existence à l'époque seulement. Et donc on était tous fous, tous enthusiastes à l'idée de développer plein, plein de choses. Et c'est comme ça que tout a commencé. Ça, c'était oui.

 

 Isabelle:

Alors c'était à travers la technologie, les listes mail que vous avez trouvé votre emploi de technologies ? Oui.

 

 Vincent:

Et après ça... C'était super, mais j'étais le seul à travailler sur la technologie et petit à petit, j'ai commencé à... J'avais envie de relever de nouveaux défis, de voir autre chose. Mais surtout, j'avais envie de me rapprocher de mon domicile parce que, à nouveau... donc ce premier job, il était à Bruxelles et moi, je suis à Namur. Ça veut dire qu'il y a une heure et demie de trajet à peu près.

 

 Vincent:

Et donc oui, c'est long. Mais je l'ai fait pendant quand même un petit temps, sept, huit ans, sept ans... Mais à la longue, je me suis dit, fin ça me prenait beaucoup d'énergie. Beaucoup trop, quoi. Vraiment. Et j'ai commencé à réfléchir à des moyens pour limiter, pour faire des économies d'énergie. Alors j'ai fait une demande pour avoir un chien guide.

 

 Vincent:

C'était déjà super. Ça m'a amené vraiment beaucoup de choses. Mais malgré tout, cette énergie, c'était trop énergivore. Encore. Et donc j'ai cherché à me rapprocher de mon domicile et c'est comme ça que j'ai commencé à travailler. où je suis maintenant. C'est toujours sur la technologie, mais c'est sur que sur la technologie mais surtout les handicaps. Et donc là je suis dans une équipe de 17 personnes.

 

 Vincent:

Oui et il y a plus d'échanges et on est tous des excités de la technologie, c'est différent, fin, voilà. Je devais faire ça. J’ai trouvé ça. Je suis là au CRETH, donc le Centres de Ressources et d'Évaluation sur la Technologie et le Handicap, depuis 2019. Et je trouve que c'est ma bonne place pour l'instant en tout cas.

 

 Isabelle:

Et comment est ce que vous avez trouvé cette position ? Après avoir terminé votre travail chez I See, comment est ce que vous avez trouvé le nouveau boulot ici à CRETH ?

 

 Vincent:

En fait, j'ai préparé la chose petit à petit et le CRETH, il avait déjà une collaboration avec la Fondation I See. Et donc, quand j'ai, quand les choses se sont précisées dans ma tête, j'en ai parlé. Je commençais à en parler tout autour de moi, tout le temps, partout, à la recherche de la bonne opportunité et on ne sait jamais...

 

 Vincent:

C'est en parlant avec d'autres que les choses viennent, voilà. Et le directeur, mon directeur actuel, m'a dit, Mais moi, ça m'intéresse, ça. Si tu veux te rapprocher de ton domicile, on peut regarder ce qu'on peut faire ensemble. Et c'est comme ça que tout a commencé. Mais ça veut dire que ça, c'est 50 % de mon activité aujourd'hui, c'est de travailler au CRETH

 

Chloë:

Et vous avez deux emplois en ce moment, de moitié temps. Et pourquoi vous avez deux et pas un ? Est ce que vous vous avez choisi ça ou comment ça passe ?

 

 Vincent:

J'ai choisi ça, d'avoir deux jobs parce que ma deuxième activité, c'est une activité de formateur, mais indépendant. Et en fait, ça me permet de... comment expliquer ça... de construire autour de moi l'environnement qui est le plus confortable pour moi. Parce que, c'est vrai que bosser à temps plein, c'est aussi non-stop, c'est une énergie. Tandis que ma partie où je suis indépendant, ben selon

 

 Vincent:

Je ne sais pas plein de paramètres, je peux parfois travailler un peu moins, parfois travailler beaucoup plus. Et ça, je trouve que on n'exploite pas assez le côté entrepreneuriat qui... c’est vraiment... allez, c'est très confortable de pouvoir soi même aménager son environnement, son horaire, le côté accessibilité aussi de la chose. C'est je trouve que ça c'est parfait. Et aussi la deuxième partie de mon travail, elle est moins consacrée au handicap.

 

 Vincent:

Et donc ça me permet de faire d'autres rencontres de.... C'est toujours la technologie, mais par rapport à l'école et donc mon travail, c'est vraiment de travailler sur l'implémentation des technologies en classe, mais pas sur le prisme du handicap. Évidemment que j'en parle un petit peu parce que voilà, on ne se refait pas bien, mais c'est pas mon job principal.

 

 Isabelle:

Et là, il y a vraiment l'utilisation de vos études en pédagogie, j'imagine ?

 

 Vincent:

Ah oui, oui, je reviens à mes affinités. Enfin, je suis toujours dedans. Mais à nouveau, si je parle avec un prof, un enseignant qui a jamais vu quelqu'un qui a une déficience. OK, avant de commencer quoi que ce soit, je prends un peu de temps pour installer le climat de confiance, pour le rassurer, pour... voilà.

 

 Vincent:

Parce que mes clients ce sont les profs, mais aussi encore la personne, le public particulier on va dire, mais qui n'a pas de handicap, lui. Et donc il faut toujours un petit peu.

 

 Isabelle:

Oui, rassurer un peu, rassurer.

 

 Vincent:

Mais c'est une force en fait, eh? C'est vraiment une force de persuasion, le handicap, finalement. Parce que quand j'apprends à quelqu'un à utiliser un ordinateur ou un smartphone, la personne qui voit ou qui a toutes ses facultés, elle se dit OK, si lui il peut le faire et il ne voit pas bien, moi aussi, quoi. Hmm. C'est vraiment une force.

 

 Isabelle:

Ou alors là, ça me fait penser. Est ce que vous pensez que, au cours de votre carrière, votre handicap était un atout ? Est ce que ça vous a aidé avec votre carrière et de quelle manière?

 

 Vincent:

Ça m'a aidé. Ça m'a aidé. Oui, oui, ça m'a aidé parce que des choses comme la créativité, par exemple, ce sont des compétences qu’on recherche grandement dans des sociétés. Il y a même des, dans les grosses sociétés, ils paient des fortunes pour envoyer leurs collaborateurs aller faire des séminaires pour développer la créativité et tout. Alors que, quand on a une situation de handicap, par la force des choses, on est créatif.

 

 Vincent:

Parce que pour arriver au même résultat que vous qui voyez, si on compare deux profils similaires, pour arriver au même résultat, forcément, j'ai dû mettre des stratégies en place tout de suite et très tôt. Et donc là, je pense que d'avoir une approche un petit peu différente, ça aide dans une équipe. Ça m’a aidé.

 

Chloë:

On doit adapter tout le temps. Oui, oui, oui, d'être flexible. Parlez vous un peu des adaptations que vous avez au travail ?

 

 Vincent:

Alors lorsque j'ai, lorsque je suis arrivé au CRETH, j'avais demandé de pouvoir être dans un bureau seul parce que mon voice-over, mon lecteur d'écran qui parle tout le temps... Voilà, je ne voulais pas mettre des écouteurs dans mes oreilles toute la journée parce que sinon, à la fin de la journée, on a une tête comme un seau, quoi.

 

 Vincent:

Et ça, c'est quelque chose qui, c’est ben, voilà. C’est une adaptation que j'ai pu, qu’on a pu mettre en place. Sauf que petit à petit, l'équipe a grandi et donc j'ai une collègue qui est venue me rejoindre dans mon bureau. Et c'est vrai que, avant qu'elle arrive, je me suis dit, Oh là là, comment est-ce que ça va se passer ?

 

 Vincent:

Je ne sais pas, fin la pauvre, moi, je ne vais pas lui imposer voice-over toute la journée. C'est pas très, c'est pas bien. Mais de toute façon elle arrivait, je n'avais pas trop de choix, donc voilà, je devais trouver une solution. Mais en même temps, je comprenais aussi très bien la position de ma hiérarchie qui devait... bon, l'équipe devait s'agrandir.

 

 Vincent:

Il n'y a pas assez de place. Voilà, on fait, on fait tous comme on peut, quoi. Vraiment. Mais finalement, ça s'est très bien passé. Ça se passe très bien. Elle s'est fait à voice-over. On fait un compromis, on trouve des... parfois, quand j'ai besoin de d'enlever mes écouteurs, je vais dans une salle de réunion ou... en tout cas, on trouve toujours une solution.

 

 

 Vincent:

Et aussi mon chien, parce que c'est vrai que mon chien me suit partout. Du coup, vu que c'est un chien guide.

 

 Vincent:

Mais moi, c'était le stress. Est-ce que ma collègue qui allait arriver… si elle était allergique au chien, c’étais mal pris, mal parti, quoi

 

 Isabelle:

Ça sera un problème.

 

 Vincent:

Et en fait ça va. Et elle adore le chien et tout ça, c'est parfait. Et donc ça c'est des adaptations plus de logistique. Je demande à mes collègues de toujours remettre les choses au même endroit. J'aime tout garder à proximité parce que si je dois commencer à chercher quelque chose et que c'est dans quelque part, sur une étagère, dans un local technique, c'est compliqué.

 

 Vincent:

Je ne vais pas trouver tout de suite. Et donc j'essaie de...Ça c'est une adaptation que je me suis créée moi-même. C'est de tout garder à proximité et et voilà. Et aussi, par contre, c'est vrai que la secrétaire de notre ASBL m'aide vraiment beaucoup quand il s'agit de lire des documents papier, parce que ça nous arrive de recevoir des documents qui ne sont pas numérisés ou des documents qui ne sont pas du tout accessibles au lecteur d'écran.

 

 Isabelle:

Oui, oui.

 

 Vincent:

Et là, elle est... C'est une aide vraiment précieuse pour moi. Elle ne se rend pas compte de à quel point elle me simplifie la vie, c'est énorme et c'est... bon voilà donc que je puisse aller la voir pour lui demander des choses ou de régler de quoi il faut remplir des choses complexes. Où il y a 48 colonnes sur un tableau. Elle, elle le fait en deux minutes.

 

 Vincent:

Moi je vais le faire en dix minutes. OK, je vais la demander de le faire, vous voyez?

 

 Isabelle:

Oui. Et chez vous, vous avez dit un des un des choses que vous aimez le plus avec l'entrepreneuriat, c'est que vous pouvez adapter votre lieu de travail comme vous voulez à vos besoins, à votre confort. Oui, pour vous. Parce que c'est indépendant. Quelles adaptations est ce que vous avez mis chez vous ou à votre espace de travail pour le deuxième emploi ?

 

 Vincent:

Alors pas beaucoup d'adaptations mises en place finalement, parce que je travaille chez moi pour une partie et donc ça, c'est très facile. Je connais mon appartement par cœur. Là, on parle en fait, mais là, on est en train de parler, et là, mon ordinateur, je suis sur mon bar de cuisine. En fait, et et voilà il n'y a pas beaucoup de choses mises en place.

 

 Vincent:

Mais qu'est-ce que je peux vous dire ? L'adaptation est aussi que quand je dois me déplacer vers les autres, là, effectivement, j'essaye de faire attention à ce que les réunions ou les rendez-vous se fassent dans un lieu qui est accessible en transports en commun ou que je peux atteindre facilement. Ou alors je fais appel au réseau qu'il y a autour de moi, à l'équipe.

 

 Vincent:

Comme j'ai la chance de travailler avec, avec Apple qui est... là, on a une équipe, le réseau, c'est magnifique. Tout le monde sait que je ne vois pas bien. Et donc ils font tous un petit peu attention mais sans le faire vraiment, vous voyez? C'est... je ne sais pas comment expliquer.

 

 Isabelle:

C'est de manière naturelle ?

 

 Vincent:

Oui, oui, même si bon, ils savent, ils disent OK, on va faire attention. Mais c'est de manière naturelle et toujours bienveillante. Et parce que très vite aussi, quand je me rends compte qu'il y a une réunion qui est en train de s'organiser et que je vois que ça va se faire, que ça ne va pas être très simple pour l'accessibilité d'y arriver, je leur dis peut être que c'est bien si on choisit un autre endroit.

 

 Vincent:

J'essaye de... mais parfois c'est pas possible. Ça, on doit aussi accepter. On ne peut pas tout rendre accessible tout le temps. Ça, c'est dans un monde idéal, mais en vrai, ce n'est pas très simple. Donc moi aussi je dois faire un effort et je le fais. Il y a un effort d'organisation et voilà, On trouve toujours des solutions en tout cas.

 

Chloë:

Quels conseils donneriez-vous à une jeune personne en situation de handicap qui veut travailler, qui veut lancer sa carrière ?

 

 Vincent:

Je lui dirais d'abord, de surtout de ne pas écouter les autres, de croire en ses rêves. Parce que si tu peux le rêver, ça veut dire qu'il y a une possibilité que tu tu peux le réaliser. Si tu peux le rêver, tu peux le réaliser. Et je crois que vraiment personne a le droit aujourd'hui de dire à quelqu'un d'autre, Écoute, ça non, tu ne peux pas faire ça, tu ne vas pas faire ça parce que c'est pour ton bien, tout ce que tu veux. Non, si tu as une idée, il faut y croire! Et c'est de vraiment avoir le courage d'écouter cette petite voix à l’intérieure qui dit Allez, vas y, fais ça fait ça, j'ai envie de faire ça. C'est vraiment ça. C'est de croire en ses rêves. Parce qu'en fait, si on y croit dès le départ, tout est possible. Le plus dur, c'est vraiment ça. C'est de croire, d'y croire. Et c'est tout commence par là. Si je suis déterminée à atteindre un objectif, rien ne peut t’arrêter. Je ne dis pas que ça va être facile, ça sûrement pas, mais c'est possible, C'est possible, ça c'est ce que toutes ces expériences m'ont apprise en tout cas jusqu'ici, c'est que c'est possible.

 

 Isabelle:

Oui. Alors, lorsque notre première entrevue vous avez parlé un peu de vos conseils pour une jeune personne en situation de handicap pendant l'entretien d'embauche et comment ils devraient faire pour réussir avec cela. Pourriez-vous répéter un peu parce que c'était super intéressant ce que vous avez dit, ce que vous conseiller sur cela.

 

 Vincent:

Oui, en fait le handicap, ok, il fait partie. C'est une difficulté qu'on ne doit pas nier, mais c'est juste une difficulté. Et lorsque je vais, je postule à un entretien d'embauche, l'objectif premier, c'est de convaincre la personne en face, l'employeur, que c'est moi qu’il doit l'engager parce que je suis sa meilleure solution et donc le conseil que je peux donner

 

 Vincent:

C'est de d'abord parler des compétences, de tout ce que je sais faire, de tout ce que je suis capable de réaliser, de pouvoir montrer des projets que j'ai déjà fait. Même si c'est pour un premier job, peut être que c'est plus compliqué. Mais alors de parler des mouvements de jeunesse ou des expériences de vie qu'on a pu vivre et qui étaient intéressantes parce que...

 

 Vincent:

Et une fois que... le but du jeu, c'est de convaincre que je suis, que je peux vraiment apporter quelque chose en plus. Et de voir comment est ce que le handicap peut servir à ces... peut appuyer le fait que je puisse apporter quelque chose en plus, par exemple, la créativité, c'est une bonne idée de dire: Mais oui, en fait, ma situation de handicap, elle m'a permis de développer encore plus que quelqu'un d'autre la créativité et donc d'essayer d’embrayer là-dessus.

 

 Vincent:

C'est d'abord les compétences que je sais faire et après, quand s'est conclu on va dire, OK, on peut revenir à des choses très pratiques et demander et chercher ensemble des solutions pour les adaptations, et cetera. Mais c'est d'abord les compétences. Moi, je me mets à la place... aujourd'hui, je suis du coup indépendant une partie du temps et très souvent je me dis: Comment est-ce que moi je ferais si je devais engager quelqu'un qui a un handicap ?

 

 Vincent:

Est-ce que je le ferais vraiment ? Et ça, c'est ça. C'est parfois c'est c'est c'est dur. Parce que je me mets à la place d'un directeur, d'une personne qui bosse en RH et qui a jamais vu une personne en situation de handicap de sa vie, qui voit - euh, quelqu’un qui ne voit pas, ça doit être aussi un choc pour elle et donc pas la peine de parler de son handicap.

 

 Vincent:

Le gars et il a vu que tu ne voyais pas, c'est déjà assez stressant pour lui comme ça. C'est peut-être pas le moment, lors du premier entretien, de tout de suite parler des adaptations, des trucs. En tout cas, c'est ma perception des choses. Je ne sais pas si c'est peut-être pas. On a chacun son point de vue là-dessus mais...

 

 Isabelle:

C'est intéressant

 

 Isabelle:

Parce que oui, comme vous avez dit, on commence avec l'argument, pourquoi m'embaucher ? Et puis on peut parler de ce qu'on a besoin pour me soutenir. Mais au début, c'est vraiment de convaincre.

 

 Vincent:

Et ça, on a du chemin vraiment à parcourir là-dessus. Parce que, au niveau de l'éducation et de toutes les activités qui peuvent, que que le secteur associatif met en place pour soutenir l'indépendance de la personne déficiente visuelle, je trouve que là, il y a encore un manque. Il faut apprendre aux gens, aux personnes à se rendre attractif, à se vendre, à parler.

 

 Vincent:

Oui, il faut, il faut essayer de... moi, j'aimerais, je rêve un jour de pouvoir faire du mentoring ou je ne sais pas quoi pour expliquer, pour expliquer que... allez, pour permettre aux personnes de prendre conscience qu'elles ont plein de choses, plein de capacités qu'elles peuvent exploiter. Et on fait beaucoup de sensibilisation vers les entreprises, mais jamais vers la personne qui est concernée par son futur job, quoi.

 

 Vincent:

Et ça, c'est dommage parce qu'on loupe. On pourrait faire des choses magnifiques.

 

 Isabelle:

Et je voulais juste demander maintenant, parce que vous avez parlé beaucoup de votre réseau, de comment vous avez trouvé des emplois en parlant avec des personnes. Alors selon vous, qu'est ce qui est le rôle de la réseautage - du réseautage? - du réseautage avec des emplois et surtout pour les personnes en situation de handicap ? Quelle est la relation entre le réseautage et la réussite professionnelle ?

 

 Vincent:

En fait, c'est l'élément le plus important, vraiment, je trouve. Je crois que c'est l'élément le plus important. La réussite, c'est un carnet d'adresses. Mais ça, c'est quelque chose que l'on retrouve, que l'on soit en situation de handicap ou non. C'est pareil pour tout le monde, mais encore plus, c'est encore plus important pour nous. Parce que, parce que, en fait, comment expliquer ça ?

 

 Vincent:

On part, si vous voulez, pas avec les meilleures cartes. Ne pas avoir de vision, une vision parfaite, c'est quand même, ce n'est pas la meilleure carte qu'on puisse avoir. Et donc pour réduire, si je peux m'exprimer comme ça, la difficulté, c'est obligatoire de pouvoir s'entourer d'un réseau, c'est obligatoire. Moi, je me suis parfois dit parfois on se pose beaucoup de questions sur soi même et c'est vrai que les études, c'est important aussi.

 

 Vincent:

Mais quand je regarde autour de moi, je connais des personnes qui sont vraiment intellectuellement brillantes, quoi. Vraiment. Et je suis admiratif. Mais elles ne peuvent, elles ne peuvent pas faire une tartine seule. Un façon de parler, ça veut dire elles n'ont pas tous les codes sociaux ou la capacité de prendre le meilleur qu'elle va trouver chez chaque personne.

 

 Vincent:

Et donc en fait, même si elles sont brillantes, qu'elles savent faire plein de choses, elles ne trouvent jamais de job, malheureusement. Et donc c’est, c'est très important ce côté réseautage. C'est juste, c'est juste essentiel. Parce que c'est surtout la réalité de la vie qui fait que vivre en situation de handicap, c'est un vrai sport d'équipe. Chaque personne que je rencontre autour de moi, c'est grâce à chaque personne qui est sur mon chemin que j'ai pu me développer.

 

 Vincent:

vous voyez? Seul, j'aurais rien pu faire, ça c'est aussi certain. C'est comme... moi, je vois ça comme une équipe de foot, un peu, vous voyez. Chacun fait des passes - tac tac tac. Et puis boum, le but final.

 

 Isabelle:

Vous avez parlé beaucoup, ben tout au début de notre conversation aujourd'hui, vous avez dit que la technologie peut être un outil de l'inclusion, mais aussi un un outil de l'exclusion si c'est mal fait. Avez vous des exemples, des petites anecdotes ou histoires que vous pouvez partager pour illustrer ces deux côtés de la technologie ?

 

Chloë:

Nous demandant des détails maintenant.

 

 Vincent:

OK, c'est très bien, c'est très, c'est très bien. Alors l'exemple positif pour moi en tout cas, c'est que quand j'ai dû, quand j'ai postulé pour travailler avec Apple, j'ai dû réaliser tout un processus pour passer un examen, et cetera et cetera. Et comme c'était Apple, je ne pensais pas du tout à l'accessibilité parce que tout était accessible. C'était magnifique. Et ça, ça m'a permis de passer et de faire tout ce circuit de manière décontractée.

 

 Vincent:

En fait, en tout cas, oui, oui, décontracté. Et pour la première fois de ma vie, je me suis dit: OK, si je ne réussit pas maintenant cet examen, ben je suis certain d'une chose, c'est que, c'est pas parce que les choses ne sont pas accessibles, c'est juste que, peut être que j'ai pas assez étudié. Peut être que... je ne sais pas... que c'est peut-être pas fait pour moi, ou peut être... je ne sais pas.... Mais c'était pas à cause de quelque chose qui n'était pas accessible.

 

 Vincent:

Parce que c'est vrai que, même quand on fait des études et on rate un examen c’est pas toujours très simple de savoir OK, est ce que j'ai raté parce que il manquait une adaptation, un aménagement ou parce que juste je suis un être humain et qu'aujourd'hui ce n'était pas mon jour ou que j'ai pas envie ou que, fin voilà. C'est pas très

 

 Vincent:

ce n'est pas toujours très simple de voir ça. Donc pour moi, c'était un bon exemple de quand tout est accessible, une technologie accessible fonctionne, ben on est sur le même pied en termes d'égalité des chances quoi, vous voyez? Ça, c'était un exemple. Je trouve que c'est c'est positif. Par contre, pendant le COVID, on a dû, on a dû se faire vacciner,

 

 Vincent:

Et au tout début du début, la plateforme en ligne pour bloquer la date de vaccination, ah ben elle était pas accessible. Et qu'est ce que je fais avec ça?

 

Chloë:

Quoi?! Wow!

 

 Isabelle:

Choquant!

 

 Vincent:

Qu'est ce que je fais avec ça ? Qu'est ce que je fais avec ça ? Parce qu'il fallait faire.... je ne sais plus mais il y avait un CAPTCHA ou je ne sais plus quoi, quelque chose. Et donc, qu'est ce que je fais avec ça ? Parce que je pouvais, OK, je pouvais, j'avais un numéro de téléphone, mais ça répondait jamais,

 

Chloë:

Oh bien sûr!

 

 Vincent:

Et quoi ? Et moi, je suis là seul. Et qu'est ce que je fais ? En plus, c'était le confinement.

 

Chloë:

Qu'est ce que vous avez fait ?

 

 Vincent:

J'ai envoyé à un de mes collègues et il a fait. Et je lui ai dit... Il a fait ça avec moi, avec son téléphone, parce que lui voyait. Et tout ça marche très bien, heureusement. Encore une fois, le réseau, heureusement quoi.

 

Chloë:

Oui.

 

 Vincent:

Heureusement.

 

 Vincent:

Mais allez, ça c'est dramatique ça, ça peut pas arriver au XXIᵉ siècle ça je comprends pas quoi ?

 

 Isabelle:

Terrible.

 

 Vincent:

Je ne comprends pas ça, comment... ? Mais bon, c'était comme ça. Quoi d'autre ? Une autre chose, c'est une facilité pour une personne qui a un handicap, peu importe lequel, de faire des courses en ligne, vous voyez ? Oui, parce que ça arrive, livré chez vous et voilà. Mais c'était encore plus important pendant le COVID, parce qu'il y avait des distances à respecter au magasin, et cetera. Donc c'était encore plus important pour nous de pouvoir faire des courses en ligne.

 

 Vincent:

Mais sauf que, si les magasins, ils développent pas les applications de manière “full accessible,” ah ben ça, ça m'embête encore plus que d'habitude, hein.

 

 Isabelle:

Wow.

 

 Vincent:

Et ça, c'est... Donc c’est... La technologie, c'est super. Mais attention, parce que c'est... Moi, je suis un addict du numérique, j'adore ça, mais je suis aussi un addict de pouvoir accéder à une solution humaine quand j'en ai besoin ou juste d'avoir le choix parce que c'est... Sinon, s'il n'y a que la technologie et qu'elle est mal pensée, je suis bloqué.

 

 Vincent:

Et aussi la technologie, c'est super, mais ça n'enlève jamais l'expérience humaine. Par exemple, si je dois remplir des papiers pour pour la santé, je ne sais pas, pour me faire rembourser un traitement, je ne sais pas quoi... OK, je peux le faire en ligne, ok, mais moi je ne suis pas expert médical et donc je vais remplir quelque chose qui me semble... qui se rapproche le plus de ce que je connais le plus

 

 Vincent:

ou ce qui me semble plus cohérent avec ma réalité de vie. Si je fais la même chose avec une personne qui, qui a l'expérience de remplir tous ses papiers, elle, elle va me dire non, mais vous, c'est plutôt ça que vous devez remplir parce que... et elle va m'expliquer l'histoire. Et ça, vous voyez, c'est important l'expérience humaine avec ça et la technologie va jamais remplacer ça. Jamais. C’est super d'avoir une alternative, d'avoir les deux, le choix vraiment.

 

Chloë:

Et les personnes aussi disent que c'est important que tous les softwares [sont] au courant. Oui, oui, tout le temps. Ça, c'est important aussi. Et les patrons, peut être, ne ne savent pas ça, oui ? Ou ils n'ont pas, ils ne veulent pas payer pour une autre version “deux,” “Beta,” whatever. Mais oui, ça c'est difficile pour les aménagements de temps en temps.

 

 Vincent:

Parce que, parce que, en fait aussi le monde du travail, il a vraiment... Allez, en dix ans, il a... c’est la révolution, il a changé terriblement. C'est à dire que si je, si je cherche à contacter par exemple une banque parce que l'application de la banque, il n'est pas accessible. OK, je fais ça avec plein de bonne volonté. J'ai envie de donner des conseils, de montrer. Mais la banque, elle va dire OK, ok, j'entends ce que tu me dis, mais ce n'est pas nous, c'est pas moi qui construit l'application, c'est... Il y a quatre sociétés qui sont là autour en train de construire l'application et donc tout est externalisé. Mais en fait je ne sais jamais atteindre la bonne ressource vers qui je me retourne? Vous voyez ?

 

 Isabelle:

Voilà, c'est devenu beaucoup plus complexe et.

 

 Vincent:

Et ça aussi, il faut faire très attention à ça.

 

Chloë:

Quelle est la racine de votre désir d'avoir des emplois, tu penses ? Grâce à quoi ?

 

 Vincent:

D'abord, grâce à mes parents, c'est certain. Parce que, depuis toujours, j'entends: Quand tu seras grand, tu feras comme le monde, tu iras travailler, bla bla bla. J'ai entendu ça je sais pas combien de fois. Donc pour moi, c'était une évidence que ça se passait comme ça parce qu'on m'a toujours raconté ça. Mais aussi c'est la passion. J'avais envie, j'ai envie d'aider les autres et donc c’est la passion de la technologie et de ce que ça peut apporter qui me pousse à ça. Mais c'est surtout d'éducation, comme on m'a montré les possibles. Ça, je crois que la racine, elle est vraiment là. C'est dans l'éducation, dans l'éducation. C'est parce que c'est sûr que si j'entends tous les jours: Écoute, ça ne va pas être facile, c'est mieux que tu reste à la maison. Si tu l'entends tous les jours, tu vas finir par le croire, quoi.

 

 Isabelle:

Oui, oui.

 

Chloë:

OK. Voulez-vous ajouter un dernier mot avant qu'on termine ou non ?

 

 Isabelle:

Oui, avez-vous d'autres anecdotes que vous pensez illustrent bien vos expériences, d'autres avis ou conseils à partager ?

 

 Vincent:

Non, je pense juste que, ce que chacun doit garder à l'esprit, c'est que, dans chaque difficulté, dans chaque complexité, il y a une opportunité de se développer. Ça, j'en suis persuadé de ça. Et donc, vu comment le monde, il est de plus en plus complexe, il y a plein de d'opportunités qui sont devant nous, plein de défis à réaliser et ça, c'est quelque chose, c'est passionnant. Moi, je trouve que c'est gai de voir qu'il y a plein de choses à résoudre et que on a la possibilité, nous, personnes en situation de handicap, de faire partie de la solution et on doit le faire. Parce que l'accessibilité, c'est une responsabilité partagée, quoi. Et on est vraiment responsable aussi, nous qui vivons ça au quotidien, de contribuer à un monde plus accessible. Et on peut le faire, ça c'est certain. Et donc voilà, on se doit de faire ça, je trouve. Et finalement, si chacun croit à ses rêves, je suis sûr que le monde va s'améliorer, c'est certain.

 

 Isabelle:

Alors on a commencé la deuxième saison de Broadcastability avec un invité belge. C'est parce que la Belgique est un des cinq pays qu'on a étudie au sein du Projet PROUD afin de mieux comprendre les facteurs qui favorisent la réussite professionnelle des personnes en situation de handicap.  Vincent est un invité idéal parce qu'il est une personne dite ordinaire.

 

 Isabelle:

Il n'est pas un super-héros ni une vedette. C'est juste un homme qui est passionné des technologies et qui travaille dans le domaine des technologies et qui est aussi non-voyant. Alors Vincent, c'est vraiment un homme qui paraît extraordinaire, justement parce qu'il travaille de manière ordinaire dans un monde qui ne facilite pas la vie pour les personnes handicapées.

 

Chloë:

Oui, ce qui m'a beaucoup frappé, c'est le fait que Vincent n'a jamais douté du fait qu'il allait travailler. Il explique que les attitudes de sa famille et surtout de ses parents ont profondément influencé ses propres attentes relatives à sa future carrière. De plus, son parcours démontre d'un côté l'importance de l'éducation pour les personnes handicapées qui souhaitent travailler et de l'autre côté, toutes les barrières à l'éducation auxquelles les personnes handicapées font face.

 

 Isabelle:

Oui, j'étais choquée qu'il a dû rappeler à l'école le fait qu'ils ne pouvaient pas discriminer contre les étudiants handicapés. Cependant, en même temps, Vincent insiste sur le fait que l'éducation seule n'est pas suffisant pour garantir la réussite professionnelle. Il souligne aussi l'importance des aptitudes sociales.

 

Chloë:

Oui, et il dit que c'est grâce à la décision que ses parents ont prise de lui envoyer à l'école spécialisée pendant la journée, mais de lui faire revenir au foyer, le soir et le week end qu'il a développé les compétences nécessaires pour les contextes dits contextes sociaux dites handicapés et de même pour des contextes sociaux dites valides.

 

 Isabelle:

Oui, c'est intéressant parce que la plupart des personnes qui ont participé à notre étude de recherche ont vécu des expériences similaires. Ils avaient un pied dans chaque monde. Et de plus, Vincent fait partie d'une autre tendance que nous avons notée où les personnes non voyantes travaillent souvent dans le domaine des technologies.

 

Chloë:

Oui, c'est une tendance très intéressante, surtout parce que, comme le dit Vincent, les technologies peuvent être des outils d'inclusion ou d'exclusion. Et on voit qu'il y a beaucoup de personnes non voyantes et déficientes visuelles qui travaillent dans le domaine des technologies, justement pour faire pencher la balance vers l'inclusion.

 

Chloë:

Merci de votre attention. Nous espérons que vous avez aimé cet épisode de Broadcastability.

 

Chloë:

Vous pouvez nous trouver sur Internet à fr.theproudproject.ca. Vous pouvez également nous rejoindre sur Facebook, Instagram, LinkedIn et YouTube.

 

 Isabelle:

Le podcast Broadcastability est réalisé par le Projet Proud à Scarborough College à l'Université de Toronto, en partenariat avec la station radio Indie 88 à Toronto, l'Association Disability Rights UK et le projet de recherche SORD, recherches sociales avec les personnes sourdes à l'Université de Manchester. La docteure Chloë Atkins et Isabelle Avakumovic-Pointon sont les animatrices de la deuxième saison de Broadcastability.

 

 Isabelle:

La musique a été composée par Justin Laurie.  Isabelle Avakumovic-Pointon a réalisé le montage de cet épisode. Nous remercions l'Université de Toronto ainsi que nos partenaires communautaires, la station radio Indie 88, l'association Disability Rights UK et le projet de recherche SORD à l'Université de Manchester d'avoir soutenu la réalisation de ce podcast. Nous tenons également à remercier nos organismes subventionnaires, le Conseil des recherches en sciences humaines du Canada et TechNation pour leur soutien financier.