Broadcastability
Broadcastability is a podcast by, for, and about persons with disabilities in the workforce. / Broadcastability est un podcast par, pour, et à propos des personnes handicapées au travail.
Broadcastability is created by The PROUD Project at the University of Toronto, Scarborough. / Broadcastability est réalisé par Le Projet PROUD à l'Université de Toronto, Scarborough.
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Season 2 (2023-ongoing): ""The Experiences of Disabled Employees and Entrepreneurs in France, Belgium, the UK, and the USA."
Season 1 (2021-2022) "The Experiences of Successful, Disabled, Canadian Employees and Entrepreneurs."
Broadcastability
Une Conversation avec Elisanne Pellerin: Accessibilité et alliés
*Lisez la transcription accessible ICI
Pour le cinquième épisode de Broadcastability, l'équipe du Projet PROUD discute avec Elisanne Pellerin, doctorante en sciences politiques à l’UQAM. Cet épisode aborde, entre autres, le handicap dans le monde universitaire, l’importance des alliés et les critères pour une politique d’accessibilité efficace.
For Broadcastability's fifth episode, the PROUD Project team interviewed Elisanne Pellerin, a PhD student in Political Science at UQAM. This episode discusses disability in academia, the importance of allies, and the requirements for effective accessibility policies.
*English transcript to come*
Générique de l'épisode:
Animatrices: Chloë Atkins et Isabelle Avakumovic-Pointon
Réalisatrices: Chloë Atkins et Andrea Whiteley
Monteuse: Isabelle Avakumovic-Pointon
Art de Couverture: Isabelle Avakumovic-Pointon
Transcription: Isabelle Avakumovic-Pointon
Musique: Justin Laurie
Reconnaissance du financement:
Nous remercions Scarborough College à l’Université de Toronto et notre partenaire pour ce balado, Timbres de Pâques Canada, pour leur aide. Nous tenons également à remercier nos partenaires financiers : le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le Centre for Global Disability Studies, Tech Nation et le Catherine and Frederick Eaton Charitable Foundation.
[musique]
Elisanne: [00:00:00] Ça devient un travail, malheureusement, d’éduquer les gens sur ces problèmatiques-là, alors que moi, c’est pas du tout mon sujet de compétence universitaire. Mais ça devient mon sujet de compétence personnelle. Et c’est à moi qu’on demande d’éduquer les gens.
Isabelle: [00:00:26] Bienvenue à Broadcastability, un balado pour, par et à propos des personnes en situation de handicap dans le milieu professionnel. Ce balado fait partie du projet Proud à l'Université de Toronto. Pour plus d'informations, veuillez consulter notre site web, leprojetproud.ca.
[musique]
Isabelle: [00:00:49] Ce balado a été enregistré sur les territoires traditionnels et ancestraux des Hurons-Wendat, des Sénèque et des Mississauga de la rivière Crédit. Nous aimerions également souligner les autres terres autochtones de l'île de la Tortue, où nous menons nos recherches et enregistrons se balado. Miigwech.
[musique]
Chloë: [00:01:16] Bonjour, je m'appelle Chloë Atkins. J'ai un handicap et je suis professeur de sciences politiques et chercheuse principale du projet PROUD.
Isabelle: [00:01:28] Bonjour, je m'appelle Isabelle et je suis étudiante en Masters à l'Université de Toronto. J'ai aussi un handicap et c'est mes expériences personnelles qui m'ont mené vers un intérêt dans ce projet.
[musique]
Isabelle: [00:01:44] Alors aujourd'hui, nous discutons avec Elisanne Pellerin. Elle est doctorante à l'Université du Québec à Montréal et elle nous raconte son parcours académique et professionnel.
Chloë: [00:01:55] Oui, c'est une entrevue particulièrement intéressante pour moi, car comme Elisanne, je suis une femme handicapée dans le milieu universitaire et une chercheuse en sciences politiques. Alors, j'ai vécu des expériences très similaires à les siennes.
Isabelle: [00:02:13] Et de plus, elle a beaucoup de conseils pour les étudiantes comme moi, qui contemplent une carrière académique. Elle a aussi des suggestions très spécifiques pour les gouvernements et les employeurs qui veulent créer des lieux de travail plus accessibles.
Chloë: [00:02:28] Absolument. J'ai hâte de partager la sagesse d’Elisanne avec nos auditeurs et auditrices. Finalement, je trouve charmante que notre discussion s'accompagne du chant de son perroquet et les mouvements de son chien d'assistance en arrière-plan [rire].
[musique]
Isabelle: [00:02:51] Alors, bonjour Elisanne, bienvenue. Pour commencer, pourriez-vous nous parler un peu de votre enfance et de votre éducation primaire?
Elisanne: [00:03:01] Donc, je viens d'une fratrie de trois personnes, donc j'étais la plus jeune de trois enfants. J'ai deux frères plus âgés que moi, qui sont neurotypique, donc pas de situation handicap. Moi, je suis née avec la paralysie cérébrale. Et puis j’ai fait mes classes, primaire secondaire dans des écoles normales, dans des écoles non adaptées. Malgré le fait que ça était parfois un peu difficile pour mes parents et puis pour l’adaptation à ça parce que je n'étais pas tout à fait la bienvenue, dans ces… Pas de la part des écoles elles-mêmes et du personnel, mais de la part de la commission scolaire, là, c'était pas très bien accepté que soit là, on aurait préféré me mettre dans des écoles spécialisées. Par contre, là d’où je viens, donc en campagne, des écoles spécialisées pour personnes en situation de handicap physique seulement, ça n'existait pas. Donc, fallait me mettre dans une école avec des personnes qui avaient des différences intellectuelles. Sauf que ma mère refusait parce que ça ne donnait pas accès à une diplomation, là, elle n'est qu'un diplôme d'études secondaires. Et évidemment, ça m'aurait nuit dans mon parcours de ne pas avoir de diplôme d'études secondaires. Donc ça a été une espèce de branle-bas de combat pour me garder en école régulière. Cependant, car même les professeurs et la direction de ces écoles-là étaient très, très gentils avec moi était très accommodante.
Elisanne: [00:04:32] Donc moi, personnellement, j’ai bien vécu dans l'optique où on m'a toujours bien acceptée où j’était. Le personnel était très invitant, malgré les difficultés, qu'il y avait au niveau plus haut, donc le niveau des commissions scolaires où c'était beaucoup plus difficile. Au moins, c'est plus mes parents qui s'occupaient de ça. Donc de mon côté, j'étais quand même bien reçu et ça a été quand même une enfance assez heureuse, sans trop de problèmes. J'ai, j'étais bien accepté, mais ma famille ne se formalisait pas trop de mon handicap, mon entourage non plus. Ça allait bien.
Chloë: [00:05:14] Vous êtes né où?
Elisanne: [00:05:15] Ben je suis née à Montréal parce que je suis née à Sainte-Justine, qui est l’hôpital. Par contre, moi je viens de Sainte-Agathe-des-Monts, donc c'est une ville au nord de Montréal, près de Mont-Tremblant. Là, c'est une petite ville où on n'avait pas l'habitude, à ce moment-là, d'avoir des élèves qui avaient des besoins particuliers. Donc, un cas comme moi, même si j'étais plutôt autonome, un cas comme moi était considéré comme un terrain extrêmement difficile dans des écoles non adaptées.
Chloë: [00:05:47] Est ce qu'il y a des personnes qui vous ont aidé, des personnes qui se sont assurées que l'environnement était accessible pour vous?
Elisanne: [00:05:57] Oui, comme je vous disais, j'ai toujours eu des alliés, toujours eu des gens qui ont cru en moi, malgré le fait que les autres n'y croyaient pas du tout. Et ces gens-là, par exemple, quand j'étais au primaire, et que la commissions scolaire, ne voulait pas du tout que je sois dans une école régulière. L'une des choses qu'ils ont essayé de faire, c'est de dire que, parce que je n'avais pas d'ordinateur portable, j'étais incapable de suivre dans une classe régulière et qu'on allait donc me sortir de la classe pour me mettre dans une école particulière parce que je n'avais pas accès à un ordinateur. Et à ce moment-là, la directrice de l'école a pris son propre ordinateur portable, elle est venue me l’apporter dans ma classe et a répondu « Voilà, elle a un ordinateur, maintenant, elle peut continuer. »
Chloë: [00:06:52] Cette histoire est très importante, elle démontre à nos auditeurs que c'est vraiment facile de donner la priorité à l'accessibilité. Aussi, elle indique que les petits gestes d'accès, ils ont grand effet sur la vie d'une personne en situation de handicap avez-vous d'autres anecdotes?
Elisanne: [00:07:15] Oui, mais toute ma vie, j'ai eu accès à des… surtout c’est les professeurs, c’est la direction, quand j'étais enfant plus jeune, qui ont été extrêmement gentil avec moi, extrêmement inclusifs. Je me souviens entre autres d'un professeur de musique. L’instrument qu'on devait jouer en secondaire, c'était la guitare. Je suis quadraplégique. Jouer de la guitare, ce n'est pas facile pour moi. J'ai essayé, j'ai toujours essayé, mais je suis arrivé pas vraiment ou de façon très moyenne. C'était difficile, même s'il donnait des bonnes notes pour mon effort. Mais par exemple, quand on arrivait en harmonie, moi et ma guitare, on faisait en sorte que l'harmonie n'était pas bonne à cause de moi, parce que je n'arrivais pas à jouer de la guitare de façon adéquate. Et donc, le professeur m'a enlevé ma guitare et me donnait un triangle pour que je puisse frapper sur mon triangle. Et à ce moment-là, l'harmonie fonctionnait. Et c'était la blague, avec le professeur, de m'enlever ma guitare et de me donner le triangle parce que c'est tout ce que j'étais capable de faire. Mais tu sais, j’ai une autre anecdote qui fait que moi, jouer de la guitare, c'est pas un but dans ma vie, je n'ai pas besoin, même si j'aimais ça. Puis j'essayais de le faire. Mais voilà, quand, quand j'étais incapable de jouer en harmonie, je dérangeais tout le monde. On me donnait le triangle, parce que le triangle, ça je suis arrivé. Et donc c'est vraiment… ça a été tout sort d’enjeux comme ça des professeurs qui m'ont aidé, qui m'ont donné plus de temps lorsque j'en avais besoin, les mesures d'adaptations que, à mon époque, qui n'était pas encore tout à fait bien fait. Donc, il y avait des professeurs qui prenaient sur leur temps de pause pour rester avec moi, le temps que je termine un examen, le temps que… pour me donner plus de temps pour faire un travail, pour faire une tâche que je n'étais pas capable de faire au même titre que tout le monde. Et donc, ces gens-là prenaient sur leur temps personnel pour moi et trouvaient des solutions à tous les problèmes, étaient créatifs pour trouver des solutions parce qu'ils savaient que si on ne trouvait pas, j’allais être sortie d'école. Et donc, tous les professeurs se donnaient, les professeurs m'aimait bien, Dieu merci. J'avais un bon contact parce qu'ils ont trouvé toutes sortes de solutions pour faire semblant que je répondais aux critères du gouvernement et m'a gardée dans des classes régulières.
Isabelle: [00:09:57] Et pourriez-vous nous parler un peu de votre première expérience de travail? Comment avez-vous obtenu ce premier emploi? Était-ce difficile étant donné que vous étiez une jeune personne en situation de handicap?
Elisanne: [00:10:12] Mon premier emploi a été au club de soccer ici à Sainte-Agathe, donc dans ma ville natale. Il faut dire que c'était mes parents qui s'occupaient du club, donc ils m'ont et m'ont donné un emploi étant leur fille, donc a été relativement facile pour moi parce que c'est mes parents qui géraient et j'étais au casse-croûte, donc je donnais les chips, et puis, les différentes collations que les gens achetaient. C'était assez facile, par la suite, ma vraie… mon premier emploi plus officiel, j'ai été à l'accueil, de camping, alors que j'étais à l'été de mes secondaire 5. Et là, j'ai été inclus par an par un programme d'inclusion des personnes en situation de handicap, donc par les programmes gouvernementaux qui payent une partie du salaire d'une personne en situation de handicap. Ça a bien été, c'était assez simple pour moi. C'était de l'accueil - travailler avec des ordinateurs, donc ça quand même bien été, puis personne qui étaient là… c'est un programme qui est volontaire, donc les personnes qui étaient là étaient contents de m'avoir et de sauver une partie de mon salaire. Alors que, dans mon cas à moi, tout au moins, je faisais 100% du travail. Je n'avais pas besoin de… je n'avais pas de la difficulté à donner ce qu'on me demandait parce que c'était assez simple pour moi, ayant toutes mes capacités intellectuelles. Donc je donnais 100% du travail pour une partie du prix, donc ils étaient très heureux de ça. Puis bof, c'est ça quand même. Puis le gouvernement donnait l’autre partie de salaire, donc moi, j'étais quand même pleinement payé. Donc, tout le monde était, tout le monde était heureux de ça. Puis ça, ça a bien été. Je suis resté quand même tout l'été de mes, tout l’été après mon secondaire cinq, et par la suite, je suis partie au CÉGEP.
Isabelle: [00:12:19] Alors vous avez mentionné votre temps au CÉGEP, ce qui me mène vers ma question à propos de votre parcours universitaire. Pourquoi avez-vous décidé de poursuivre un doctorat et une carrière académique?
Elisanne: [00:12:32] Ben en fait, après le secondaire, je suis allé au cégep en théâtre, au Collège Lionel-Groulx. Donc, j'ai fait un DEC en théâtre parce que, à ce moment-là, je voulais devenir metteur en scène, donc j’ai fait un DEC en théâtre et par la suite, je me suis révisé parce que… voilà je voulais répondre probablement à des attentes qu'on avait envers moi là. Et je suis allé vers quelque chose de plus de plus intellectuel. Mais ne sachant pas trop à quoi faire, avait appliqué en droit, j'avais appliqué en sciences politiques. Et j’ai décidé d’aller en sciences politiques parce que la droit avait… pour différentes discussions que j'avais eu, l'étais un peu désillusionné du droit. Je ne voulais pas nécessairement défendre des causes qui ne pas dans mes valeurs et tout ça. Donc, étant à ce moment-là a une jeune étudiante, je suis partie et je suis allée en science politique à poursuivre parce que je trouvais que ça allait plus avec mes valeurs. Donc j'ai fait, à ce moment-là, je suis partie donc des Laurentides, donc au nord de Montréal, vers Sherbrooke. Qui quand même est à trois heures de chez moi. J'ai fait mon baccalauréat et ma maîtrise à l'Université de Sherbrooke en sciences politiques.
Elisanne: [00:14:04] Et puis mon but avec tout ça était de devenir un professeur d'université. Et donc, pour enseigner… j'adore enseigner, mais je serais probablement incapable d'enseigner à des enfants. Je n'ai pas la patience. Ce n'est pas… ni la patience ni la pédagogie de faire ça. Et donc, je me suis dit que j'allais enseigner à des adultes. Ça allait être plus facile pour moi et donc pour enseigner à les adultes, ça prenait mon doctorat, voire un post-doctorat. Donc, je suis revenu par la suite à l'UQAM parce que le doctorat est offert presque uniquement à Montréal, Québec. Donc, je suis venu à l'UQAM pour terminer, ben pour faire mon doctorat que je suis en train de terminer. Et pour le post-doctorat, je verrai, je ne sais pas encore où on va m'accepter, mais probablement, très fort probablement, que je vais devoir re-déménager pour mon post-doctorat. Parce que bon, vous savez comment ça fonctionne. Les post-doctorats sont très difficiles à atteindre et donc je vais aller, je ne sais pas trop où dans le monde, pour atteindre un post-doctorat d'un dans la prochaine année, dans les prochains deux ans, tout dépendant quant à ce que je suis capable de défendre ma thèse.
Chloë: [00:15:23] Quel est le sujet de votre thèse? Pourriez-vous nous l'expliquer?
Elisanne: [00:15:27] Ces les activités culturelles, communautaires comme vecteurs d'émancipation contre le racisme. Donc, c'est vraiment de savoir comment les activités culturelles dans les centres communautaires peuvent aider des personnes qui sont en situation de racisme. Comment ça peut les aider à s'émanciper, comment ça peut les aider à s'intégrer à la société. Ici, au Québec, comme ailleurs au Canada, mais au Québec on a un problème particulier avec l'intégration des personnes immigrantes. Ça a fait toute sorte de saga au Québec. Il y a toutes sortes de problèmes avec ça. On n'est pas des excellents intégrateurs, donc il y a vraiment eu un problème de… il y a encore beaucoup de problèmes de racisme au Québec. Donc c’était quelque chose qui qui m'a appelé beaucoup et j'ai commencé ça avant qu'on parle de George Floyd et de Black Lives Matter, mais j'ai bien fait parce que bon, avec l’actualité, tout ça, je suis tombé au bon endroit, là. C'est vraiment d'autant plus d'actualité maintenant.
Chloë: [00:16:42] Et comment avez-vous choisi ce sujet?
Elisanne: [00:16:46] Ben en fait, c'est… je pense que, de premier bord, je suis une justicière. Je suis une justicière, donc les sciences politiques m'intéressait pour changer les choses, pour être capable de faire quelque chose qui était, qui était valable, qui aidait la société de façon très concrète. Et puis, on s'attendait de moi ce que je travaille sur des projets de personnes en situation de handicap parce que j'étais moi en situation de handicap et je n'avais pas envie de tomber dans ces stéréotypes-là.
Chloë: [00:17:22] J'ai tombé dans ce stéréotype, mais… [rire]
Elisanne: [00:17:26] Mais c'est très correct. Vous voyez, j'y reviens aussi, dans le sens où, pendant très longtemps, je me suis très peu impliqué avec des personnes en situation de handicap parce que je résistait contre ça. Et voyez maintenant, je suis dans différents… dont avec votre projet, mais avec d'autres projets, je suis… je reviens donc à défendre ce type de problématique-là. Mais voilà donc je cherchais un problématique qui était tout à fait… qui était aussi valable, qui était tout à fait d'actualité, mais qui était pas un lien avec une situation de handicap. Et comme j’étais au Québec, c'était très, très présent, le racisme, et donc je trouvais que c'était le sujet qui était d'actualité et dans lequel je pouvais travailler. Et ça a été très, très long pour moi avant de trouver mon sujet de thèse. J'en ai fait plusieurs. J'ai changé de sujet plusieurs fois et quand j'ai eu cette idée-là, je me suis dit que j'étais au bon endroit. Et comme de fait, effectivement, je n'étais vraiment pas dans l’endroit pour moi. Donc c'était vraiment pour être capable d'aider, de faire ma part pour aider quelqu'un que j'ai choisi ce sujet-là. Et parce que ça m'intéressait profondément, beaucoup plus que des sujets plus académiques, des sujets qui sont peut-être plus facilement accessibles, mais qui, moi, ne m'intéressait pas du tout.
Chloë: [00:19:01] Moi aussi, je suis chercheuse et comme vous le savez, un universitaire a trois responsabilités professionnelles : la recherche, l'enseignement et le service à la communauté. Est-ce que votre handicap a une influence sur comment vous effectuez vos responsabilités?
Elisanne: [00:19:23] Étant doctorante, presque à la fin du doctorat, maintenant ma thèse est presque toute écrite.
Chloë: [00:19:31] Félicitations!
Elisanne: [00:19:32] J'ai déjà commencé donc... merci!
Isabelle: [00:19:37] Félicitations! C'est difficile, les thèses.
Elisanne: [00:19:39] Oui, c’est difficile. [rire] Oui, c’est difficile on s'y attend pas. Et Dieu merci, on n’y attend pas parce que si on s’attendait on ne le ferait pas. Mais oui, donc, j'ai déjà commencé l’enseignement. J'ai commencé aussi les colloques scientifiques. J'ai commencé à recherches. Je suis chercheur aussi, de mon côté, j'ai des contrats de recherche. Vous savez comme moi que pendant la thèse de doctorat, on n'a pas le choix de le faire. Donc, j'ai commencé déjà tout ça et je pense que ce sera ma vie pendant un moment à tout le moins. Je m'en sors bien et je m'en sors bien. Je pense que, avec le temps, j'ai appris à écouter mes limites alors qu'à une autre époque, je n'ai pas écouté mes limites. J'ai fait un baccalauréat en dix-huit mois plutôt qu'en… donc 17 mois en fait, et donc j'ai travaillé extrêmement difficilement. Je dormais pas et à un moment, ma santé psychologique en a pris un coup, là. Et donc j'ai appris à écouter mes limites plus maintenant, à prendre des pauses quand il faut, à ne pas travailler une journée parce que parce que je sens pas bien. En vieillissant, j'ai appris ça. J'ai appris aussi à demander de l’aide quand j'en ai besoin, alors qu'à une autre époque, je refusais toute mesure d'adaptation et toute aide par orgueil et par fierté. Aujourd'hui, je n'ai pas besoin de beaucoup d'aide, j’essaie de faire les choses grosso modo à ma façon, mais quand même, quand j'ai besoin d'aide, je demande, ce que je faisais pas avant.
Elisanne: [00:21:15] Enseigner pour moi, c'est facile. Je pense que je suis une enseignante dans l'âme. Je suis une professeure dans l'âme. C'est ce que j'aime faire. J'aime beaucoup faire ça. La recherche, c'est moins facile pour moi, je ne suis pas une chercheure de prime abord, j'avais peu d'aptitudes en recherche en commençant, mais j'ai développé, et j’ai développé un goût pour ça. Un goût pour certains projets, à tout le moins des projets comme le vôtre, des projets communautaires, des projets où on peut aider les gens de façon très concrète. J'aime faire ça même ça demande, ça demande des choses intellectuelles, ça demande de l'écriture, ça demande beaucoup de choses de bureau qui sont moins ma force. J'aime les résultats et je me concentre vraiment sur les résultats de ces ordures. J'adore faire ça. Et bon, les colloques et tout ça, ça se passe toujours assez bien. Bien que toujours des péripéties, les gens sont assez réceptifs à mon chien et viennent m'aider quand j'ai besoin d'aide. Ce qui m'amène à votre deuxième question. Je pense que les gens, lorsqu'ils voient un chien, sont un peu étonnés de prime abord, ils sont un peu étonnés. Parfois, surtout dans d'autres pays, mais parfois aussi au Québec, ça m'est arrivé de me faire prendre de haut, donc de me faire juger et de me faire dire « Tu ne peux pas être professeur, tu dois t’es trompé de classe, ça ne doit pas être toi, la professeur » et de me faire dire mais oui, c'est moi. Donc il y a vraiment le jugement qui reste, je pense, et vous l'avez probablement vécu, que oui, de se faire juger de prime abord parce qu'on est en situation de handicap, je pense qu'il faut travailler plus fort que les gens qui sont neurotypiques, pour arriver au même résultat. Il faut sans cesse prouver nos capacités, beaucoup plus que les autres. Et en plus, quand on est femme, vous et moi on est des femmes, encore plus, on est de prime abord, des professeurs femmes dans un milieu typiquement masculin, en plus en situation de handicap. Plusieurs fois, j'ai dû prouver mes compétences parce qu'on ne me prenait pas au sérieux. Et ça, ça aussi, ça prend beaucoup d'énergie. Par contre, au niveau des étudiants, je vous dirais que c'est quand même… a part que, bon, il y a toujours deux- trois personnes qui nous regardent de haut, qui ne sont pas certains, qui veulent jouer au plus malin avec nous. Mais la plupart des étudiants sont réceptifs, aiment le chien. Mes chiens sont beaux. Donc il y en a… je pense que le chien facilite le contact.
Elisanne: [00:24:08] Donc vraiment, ça aide de présenter le chien, je fais quelques blagues, je me présente, je fais quelques blagues et les gens finissent par voir que malgré le fait que tu sois en situation de handicap, tu as des compétentes et que s'ils ne le sont pas à l'aise avec la situation de handicap, ils peuvent sortir du cours et trouver un autre cours. Mais que tant que la classe sera la mienne, il va avoir du respect et ça va marcher selon mes règles. Donc, s’ils ne sont pas à l’aise avec ça, ils sortent tout simplement. Ils changent de cours, mais la plupart des étudiants restent dans mes cours parce que je suis quand même quelqu'un d'assez drôle qui aime faire des blagues qui... Je pense que je suis quand même un bon professeur, je suis quand même quelqu'un qui qui est à l'écoute des étudiants. Je suis très sensible aux besoins particuliers des étudiants. Je suis très sensible aux besoins de l'un et l'autre, très sensibles à leurs droits, aux droits de mes étudiants. Donc je pense que je suis quand même quelqu'un qui, grosso modo, fait un bon travail que les étudiants apprécient justement parce que je suis assez accessible comparativement à d'autres profs d'université. Mais moi, j’essaie, au moins de rester extrêmement accessible et de dire à ces étudiants que je comprenne ce qu'ils vivent parce que moi-même l'ai vécu.
Chloë: [00:25:40] Et vos collègues, comment réagissent-ils?
Elisanne: [00:25:43] Avec les collègues, vous le savez que oui, c'est beaucoup plus difficile, les collègues étant... Je pense que dans le milieu universitaire, on est des gens qui ont un certain statut social, qui ont souvent beaucoup d'argent, qui ont toujours été, pour la majorité à tout de moins, dans une situation d'aisance où ça a été relativement facile. Des gens qui apprennent facilement, des gens qui sont intelligents et très intelligents, des gens qui souvent viennent de familles aisées. Donc c'est sûr que ces gens-là ont pour la plupart ont quand même… veulent, veulent faire respecter une certaine aura autour de l'université, avoir des gens qui répondent à certains standards auxquels je ne réponds pas. Il faut… pour eux c'est vraiment élitiste comme lieu et je ne réponds pas à ces standards-là. Donc c'est sûr qu'au début, tu te fais regarder, tu te fais passer des petits commentaires ici et là. C'est plus difficile d'avoir des charges de cours, c'est plus difficile à avoir... Bon, c'est un milieu aussi typiquement masculin. Donc, c'est sûr qu'au niveau des collègues, ça devient plus difficile. Après, Dieu merci, il y a toujours eu des collègues et des professeurs et des directions qui sont vraiment un soutien, qui croient en vous et qui vont vous aider à atteindre vos objectifs. Donc, j'ai toujours eu une ou deux personnes, trois ou quatre qui étaient extrêmement de bon support pour moi, qui m'ont moins aidé à faire leurs classes, et des collègues, des professeurs qui m'ont qui m'ont défoncé des barrières, qui m'ont beaucoup aidé. Ce qui a fait un contrepoids aux personnes qui ne m'ont pas aidé du tout.
Chloë: [00:27:55] C'est une stratégie pour vous
Elisanne: [00:27:57] Oui!
Chloë: [00:27:57] D’avoir cette personne avec vous, je fais la même chose.
Elisanne: [00:28:01] Oh, mais il faut, il faut. Et voilà, il faut trouver des gens qui sont de notre côté. Il faut trouver des étudiants qui deviennent des professeurs, qui vont travailler avec nous, des collègues qui vont nous aider à toutes sortes de façons, même dans l'ombre, pour essayer de jouer, pour nous aider, ça devient tout un travail stratégique.
Chloë: [00:28:25] Oui, je comprends. De fait, les racines du projet PROUD se trouvent dans mes expériences avec la discrimination à l'université. J'ai un handicap épisodique et parfois j'utilise un fauteuil roulant et parfois pas. Il y avait une université qui m'a refusé un poste à cause de mon handicap. J'ai posé ma candidature et j'ai été invité à une entrevue. Mais quand ils ont découvert que j'avais un handicap, l'entrevue a été annulée et j'ai reçu une lettre de refus. Mais un membre du comité d'embauche m'a téléphoné et il m'a dit « Tu dois changer tes lettres de recommandation. C'est important que vos lettres n'aient aucune allusion à votre handicap ». Donc, j'ai demandé à mes référents d'éditer leurs lettres et après, la même université m'a offert une poste. Alors, je comprends que la discrimination est un grand problème pour les personnes en situation de handicap visible.
Elisanne: [00:29:41] Oui, ben c'est très subtil. Les gens ne viendront pas de prime abord vous voir pour vous dire que parce que vous êtes en situation de handicap ou parce que vous êtes une personne racisées, vous n'aurez pas accès à l'un ou l'autre des postes qui sont proposés. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. C'est… de prime abord, et les gens se disent très ouverts. On a des politiques d'ouverture à l'université. Par contre, appliquer ces politiques-là et les faire respecter, c'est extrêmement difficile parce que il y aura toujours une raison de me refuser un poste et de ne pas dire que c'est parce que je suis en situation de handicap. Il y aura toujours une raison d'être beaucoup plus sévère avec moi qu'avec quelqu'un d'autre sans dire que c'est à cause de ma situation handicap. Donc c'est très subtil. Et oui, ça devient un combat. Dieu merci, en sciences politiques comme ailleurs, mais en science politique aussi, il y a des gens qui sont beaucoup plus de courant de gauche, de courant révolutionnaire, de courant d'intégration. Et ces gens-là, particulièrement ces gens-là, sont ouverts à ce type de problématique-là. Et vont aider et en font parfois une cause personnelle d'essayer de t'aider et réussissent à défoncer des barrières pour nous. Dieu merci, il y a des gens qui sont très, très progressistes dans ces endroits là, mais c'est sûr que la majorité ne sont pas progressistes et la majorité, c'est sûr que les sujets les plus en vogue, ce n'est pas des sujets progressistes non plus, c’est les sujets de nationalisme, de guerre, d'armées, de tout ça, d'économie, tout ça.
Elisanne: [00:31:36] Et donc, ces personnes-là, je pense que c'est de plus en plus quand même valorisé, la progression à l'université. Mais il reste encore énormément de travail à faire. Dieu merci, je pense que les gens comme vous Chloë comme moi, à tous les jours sont incapables de faire changer les choses et un à la fois, on arrive à quelque chose. Mais il y a énormément de travail à faire et malheureusement, ce n'est pas notre travail de faire avancer l'université sur les questions de discrimination. Mais parce qu'on est ce qu'on est et qu'on est né en situation de handicap, qu'on est né avec une situation de racisme où on peu importe, ça devienne notre travail de faire ça et ça devient un travail, malheureusement, d'éduquer les gens sur ces problématiques-là, alors que moi, c'est pas du tout mon sujet de compétence universitaire, mais ça devient mon sujet de compétence personnelle, je crois. Et c'est à moi qu'on demande d'éduquer les gens sur ces problématiques-là.
Chloë: [00:32:46] Je suis une spécialiste en sciences politique comme vous et nous nous intéressons aux questions concernant le pouvoir et les systèmes politiques. De nombreux de nos collègues se préoccupent de la justice sociale, de la diversité et de l'inclusion. Pourtant, paradoxalement, je constate que bon nombre de mes collègues ne considèrent pas l'invalidité comme une problème de premier plan. Nos recherches menées dans le cadre du projet PROUD montrent également que le handicap est une considération secondaire lorsque nous parlons aux employeurs de milieux de travail inclusifs.
Isabelle: [00:33:31] Alors évidemment, l'université n'est pas un le modèle d’inclusivité, mais avez-vous déjà eu des expériences de travail qui étaient réellement inclusives?
Elisanne: [00:33:42] La question est difficile dans l’optique òu j'ai eu des endroits de travail théoriquement inclusifs, mais c'est sûr qu'il y a toujours eu des collègues, des patrons qui étaient contre moi partout où je suis passé. Je ne pense pas que ça m'est déjà arrivé de ne pas sentir ça de la part de l'un ou l'autre des personnes avec qui je travaillais. Donc, pour moi, un lieu qui est totalement inclusif serait un lieu où il n'y a aucun préjugé contre le handicap, contre la situation de quelqu'un. C’est là où on a vraiment des endroits de travail inclusifs. Par contre, je pense que c'est très idéaliste d'avoir des endroits où ça existe parce qu'il y aura toujours quelqu'un qui va avoir quelque chose à dire sur toi. Et je pense qu'effectivement… aussi je suis quelqu’un, pour revenir sur ce que vous disiez Chloë, je suis quelqu'un qui a été privilégié dans la vie pour différentes raisons, entre autres, grâce à mon caractère, j'ai réussi à atteindre des études supérieures. J'ai réussi à atteindre des bons salaires qui font que pour moi, c'est facile ou du moins, c'est accessible de payer ma médication, de payer mes trucs, de travailler moins, d'avoir accès à des bons salaires, d'avoir accès à des bons emplois. Pour la majorité des gens, ce n'est pas accessible d'avoir un doctorat, de travailler à l'université avec les salaires que nous on connaît et qui sont obligés de travailler à des salaires moindres ou, la plupart du temps, même de ne pas travailler du tout parce qu'ils ne trouvent pas d'emploi approprié à leurs besoins.
Elisanne: [00:35:40] Et ces gens-là se retrouvent en situation de pauvreté, à subvenir à leurs besoins sur des programmes gouvernementaux qui paient très faiblement. Et ces gens là se retrouvent en situation de pauvreté. Donc, je fais partie des rares exceptions qui n'ont pas besoin de l’aide de subsistance, de dernier recours qu'on appelle ici au Québec le bien-être social, pour vivre. Mais le bien-être social au Québec, ça donne 500, un peu plus de 500 dollars par mois. Euh, c'est vraiment pas beaucoup, donc ces gens-là là vont vivre en situation de pauvreté toute leur vie. Dans mon cas, parce que j'ai réussi à avoir des études supérieures, j'arrive à avoir un salaire qui est convenable et à me débrouiller un peu partout, même si les endroits ne sont pas, dans les faits, des emplois qui sont parfaitement inclusifs. J'arrive à me débrouiller, mais j'arrive à me débrouiller parce que j'ai de la chance. J'ai de la chance d'avoir un handicap que j'ai pu surmonter. J'ai pu avoir des capacités physiques beaucoup plus importantes que ce que mon handicap me permettait de prime abord. J'ai pu avoir un caractère qui me permet de me tenir debout. J'avais les capacités intellectuelles de faire un doctorat. Mais voilà, ça a été, c’est ça.
Isabelle: [00:37:14] Est-ce qu'il y a des mesures que les gouvernements ou les organisations devraient prendre pour assurer l’inclusion des personnes en situation de handicap au travail?
Elisanne: [00:37:24] Je pense que les mesures gouvernementales doivent être revues pour donner non pas un semblant d'inclusion avec des politiques qui sont facilement déjouables, mais avec des politiques qui fonctionnent de façon concrète. Et ça, je pense que pour faire ça, mais il faut écouter les personnes en situation de handicap. Arrêter de demander à des ingénieurs à gros prix ce qu'on doit faire et commence à demander à des personnes en situation de handicap ce qu'on doit faire parce que j'ai vu des travaux d'ingénierie qui n'étaient pas du tout adaptés, même si, même s'ils ont voulu. J'ai vu des rampes d'accès qui étaient tellement à pic qu'on retombait, part en arrière avec les fauteuils. J'ai vu les portes s'ouvrir dans une rampe d'accès où tu retombais parce que la porte s'ouvre sur toi. Bon, j'ai vu, j'ai vu toutes sortes de choses qui avaient été fait par des ingénieurs, pourtant, mais un ingénieur malgré sa bonne volonté, s'il ne consulte pas les gens, il pensera pas à tout. Parce que c'est difficile pour quelqu'un qui est sur ses deux jambes de penser à ce dont les autres ont besoin. Donc, je pense qu'il faut consulter la population et dire et « expliquez-nous quels sont les problèmes au niveau des programmes, quels sont les problèmes au niveau des adaptations et comment on peut vous aider avec ça? Venez tester non nos programmes, venez tester nos environnements de travail et venez nous dire ce qui ne fonctionne pas. »
Elisanne: [00:38:52] Et ça se fait un peu avec des ergothérapeutes et tout sorts qui viennent aider. Ça se fait un peu ici au Québec, mais ça ne se fait pas assez. Et évidemment, il y a des lois qui sont complètement ignorées. Par exemple, au Québec, il y a une loi qui dit, depuis l’année 70, donc on parle quand même de 50 ans, qui disent que tous les nouveaux bâtiments doivent être construits de façon accessible. Ça, c'est une théorie, parce qu'en pratique, il n’y a personne qui est obligé de faire ça et aucune contravention ou amende qui a été donnée. Ceux qui veulent bien suivre peuvent y suivre ceux qui refusent de suivre ça pour des questions souvent financières.
Isabelle: [00:39:52] Alors la loi n'est pas imposée?
Elisanne: [00:39:54] Non, la loi n'est pas appliquée en fait. La loi ici au Québec, n'est pas appliquée du tout, du tout, du tout. Donc, c'est vraiment de la bonne volonté parce que ceux qui ne le font pas n'ont aucune conséquence de ne pas l'avoir fait. Donc, c'est vraiment une question de modifier ces lois là et de les appliquer pour de vrai et aussi de demander aux gens en situation de handicap, ce dont ils ont besoin parce que c'est les meilleures personnes pour nous dire que une entrée est accessible ou non, selon eux. Et non selon un ingénieur qui pour lui, ça peut être très accessible, mais qui s'est jamais assis dans un fauteuil roulant pour essayer.
Chloë: [00:40:39] En parlant des mesures gouvernementales. Vous avez déjà parlé du programme qui a contribué à votre salaire quand vous travaillez au campus d'été. Avez-vous utilisé d'autres programmes au cours de votre carrière et de manière plus générale, pourriez-vous nous parler un peu de côté financier de votre carrière?
Elisanne: [00:41:04] Bien au niveau des études ici au Québec, on le quand un programme de bourses d'études pour les personnes en situation… ben pour tout le monde, en fait, mais qui est qui est meilleur, qui donne plus d'argent aux gens qui ont situation de handicap. Donc, c'est comme ça que j'ai payé grosso modo mes études jusqu'à dernièrement, où j'ai commencé à travailler plus sérieusement pour payer mes études. Donc, j'ai eu accès à ce programme de bourses gouvernementales-là pour mon université. J'ai aussi eu accès évidemment à des programmes d'outils techniques, donc les programmes qui nous donnent des fauteuils roulants, par exemple et tout ça. Donc, toute ma vie, j'ai eu accès à des programmes pour les fauteuils roulants et qui donne accès aux différentes aides moteurs. On ne peut pas tout avoir. C'est un ou c’est autre. Dans mon cas, j'ai un fauteuil manuel qui a été payé et j'ai une allocation pour mon chien d'assistance qui est payée également qui me donne de l'argent pour sa nourriture. pour tout ça. Ça couvre pas tout au niveau du chien, mais quand même. Ç a a été bonifié aussi dans les dernières années, donc c'est beaucoup mieux que c'était. Parce qu’un chien, ça coûte cher et donc c'est principalement les programmes… au Québec, on a des bons programmes pour ça, même si, pour différentes raisons, il y a des difficultés au niveau de l'accessibilité de ces programmes-là. Mais au Québec, on n'est pas à payer pour ce type de chose. On ne va pas payer non plus pour les spécialistes. On n'a pas à payer pour une partie des réaménagements, pour une partie des aménagements des voitures non plus. Donc, les programmes sont quand même généreux, même si, comme je disais, au niveau de l'accessibilité de ces programme-là, toujours des ratés, puis des problèmes administratifs. Vous connaissez la chanson. Mais de mon côté, je n'ai pas eu à payer beaucoup de mes adaptations, sauf mon quadriporteur dernièrement, parce que j'avais droit au chien ou au quadriporteur. Mais comme mon chien était mort et que je ne savais pas quand j'allais avoir d'autres chiens, j'ai payé un quadriporteur, mais c'est allé sur mes assurances de travail, finalement. Donc, je n'ai pas eu finalement à payer. Mais quelqu’un qui n'a pas d'assurance privée, voire être obligé de débourser de part ou d'autre. C'est à date moins s'il veut avoir plusieurs équipements.
Chloë: [00:43:45] Est ce que vous recevez une pension d'invalidité en ce moment? Ou avez-vous envisagé la possibilité de bénéficier d'une telle pension dans le futur?
Elisanne: [00:43:58] Ben oui, on réfléchit à ça. Vous le savez, on réfléchit à ça beaucoup. Pour l'instant, je n'en ai pas besoin parce que je suis capable de travailler. Donc, j'ai été capable, avec les bourses d'études, avec tout ça à avoir, à être tout à fait autonome financièrement. Et Dieu merci, grâce à mes diplômes, j’aurais quand même un salaire qui est adéquat, même si je ne travaille pas à temps plein en ce moment parce que je termine ma thèse. J'arrive à avoir des salaires qui sont adéquats pour moi et qui réussissent à me faire vivre. À long terme, je ne sais pas ce que je vais faire. Est ce que je vais être capable d'avoir un poste de professeur, par exemple, à temps plein? Possiblement pendant une partie de ma vie, avant que je sois trop fatigué. Mais ma maladie me porte à être de moins en moins forte physiquement. Éventuellement, peut être que je vais avoir besoin de diminuer. Maintenant, ça va quoi que-t-il j’ai jamais essayé, sincèrement, de travailler à temps plein. Donc ici, ce qui est temps plein au Québec, c'est 40 heures par semaine. Je n'ai encore jamais essayé de travailler 40 heures par semaine. Mais Dieu merci, là où j'en suis, avec les études que j'ai, on me donne un salaire qui même si je ne fais pas 40h semaine, me convient et puis me permet de vivre. Donc ça, c'est la bonne nouvelle. À long terme, possiblement que je vais en avoir besoin parce qu'il va falloir que je réduise encore mes heures. Donc je vais voir, c'est vraiment une question qui est évolutive pour moi,
Isabelle: [00:45:46] Comme on parle des changements, est-ce que vos besoins d'adaptation, surtout pour le logement, est-ce qu'ils ont évolué au fil des années?
Elisanne: [00:45:56] C'est sûr que mon logement est adapté dans l'optique où j'ai toujours eu besoin de logement, où il y avait peu d'escaliers, idéalement pas d'escalier, parce que je peux monter les escaliers avec une rampe, mais pour rentrer mon fauteuil roulant, pour rentrer mon quadriporteur… C'est sûr que je ne peux pas entrer à mon fauteuil roulant, mon quadriporteur dans les marches, moi, j’arrive pas. Donc, le plus simple, pour moi, c'est avoir des appartements qui sont adaptés, donc que ont qu’un escalier, donc tant quand j'étais à Montréal que quand je suis revenu à Sainte-Agathe et quand j'ai fait mes études à Sherbrooke aussi, j'ai toujours eu un appartement qui était qui était sans escalier.
Isabelle: [00:46:42] Est ce qu'il y a une différence entre le coût d'un appartement accessible et le coût d'un appartement non adapté?
Elisanne: [00:46:49] C'est sûr que ça coûte plus cher. Après moi, j'ai été chanceuse. J'avais quand même des contacts. Donc, à Montréal, je suis allé dans une coopérative d'habitation, donc une coopérative adaptée, parce que c'était une coopérative quand même, elle était abordable. À cet égard, j'ai acheté un condo que j'étais capable de négocier. Mais c'est sûr qu'il y a une majorité des appartements dans toutes les villes coûtent beaucoup plus cher s’ils sont adaptés.
Chloë: [00:47:22] Comment vous déplacez vous? Prenez-vous le métro ou avez-vous une voiture? Ou…?
Elisanne: [00:47:29] À Montréal je n'avais pas de voiture. Parce qu'à Montréal, avoir une voiture, c'est beaucoup plus compliqué que de ne pas avoir de voiture. Donc, à Montréal, j’utilisais le transport adapté. Par contre, extrêmement complexe le transport adapté, le service du réseau de transport de Montréal, excusez-moi, mais c'est absolument horrible. C'est absolument horrible comme service.
Chloë: [00:47:54] Toutes les villes au Canada, je pense que c'est la même chose.
Elisanne: [00:47:57] C'est ce qu'on m'a dit. C'est absolument horrible - point que le service de Sherbrooke était bien meilleur. Je dois avouer que le service de Sherbrooke était bien meilleur. Les services à Montréal, ne fonctionnent pas. Mais avoir une voiture à Montréal, c'est extrêmement complexe pour moi au niveau du déneigement et tout ça, des stationnements, là, c'était super complexe. Donc je n'avais pas de voiture. Je me promenait en transport adapté, en taxi, à l'époque où j'avais mon chien d'assistance en métro, quand mon chien d'assistance est mort j'ai été quand même deux années sans chien d'assistance, et le métro, pour moi, c'était plus possible. N'ayant pas de soutien pour marcher, c'est extrêmement difficile. Donc c’était grosso modo le taxi, les amis, le transport adapté quand ça fonctionnait, c'est à dire pas souvent. Et maintenant, à Sainte-Agathe, j’ai une voiture. Ici ou je suis, où j'ai acheté mon condo, comme je vous disais, toute à l’heure, c'est une petite ville. On a un transport adapté, mais qui est quand même limité, qui est difficile. Donc, ici, à Sainte-Agathe, j'utilise ma voiture et j'ai appris dans les dernières semaines à utiliser ma voiture à Montréal.
Isabelle: [00:49:10] Sur ce sujet, quelle adaptation demandez-vous au travail?
Elisanne: [00:49:14] Dans mon cas, je n'ai pas besoin de l'aménagement particulier à mon lieu de travail, ne serait-ce que le lieu soit accessible en fauteuil roulant. Donc… mais au niveau, j'ai besoin évidemment de travailler avec un ordinateur. Je ne peux pas écrire à la main très longtemps, beaucoup plus qu’une liste d'épicerie. Donc, j'ai besoin de travailler avec un ordinateur. Mais pour le reste, je suis capable de travailler assez bien. C'est sûr que j'essaie de ne pas avoir besoin de correcteur, de personnes qu'avec moi, simplement parce que j'aime mieux corriger mes propres copies seul. J'aime mieux corriger et les trucs de mes étudiants seuls. Par contre, j'ai accès à ça, donc j’ai accès à des correcteurs, j'ai accès à des gens qui peuvent faire des corrections, faire des rédactions pour moi si j'en ai besoin. Mais je le trouve parfois plus compliqué de faire appel à ces gens-là que de le faire seul. Parce que ça sort de ma tête, et donc, si je veux que ça soit fait de la façon dont moi je veux, des fois, c'est plus facile. Par contre, bon, j'ai quand même, comme je disais toute à l’heure, c'est quand même une équipe de gens autour de moi, j'ai quand même des gens à qui je fais extrêmement confiance, qui connaissent ma façon de travailler, qui peuvent venir à la rescousse à un moment ou à un autre pour m'aider si j'en ai besoin.
Isabelle: [00:50:42] Et utilisez-vous des outils pour taper à l'ordinateur?
Elisanne: [00:50:45] Non. Je tape normalement le clavier, bien que j'imagine que je tape un peu moins vite qu’une secrétaire. Mais je tape quand même plus rapidement que la moyenne des gens parce que j'étais habitué à toute ma vie à taper et donc j'arrive à taper de façon assez rapide. Bien que je ne tape pas de façon conventionnelle, donc je n'utilise pas toutes mes doigts.
Isabelle: [00:51:15] Avec tout ça [rire], voyez-vous des changements positifs dans notre société?
Elisanne: [00:51:21] Ben écoutez, ça change, ça change, ça change doucement, ça change trop peu, mais ça change. Je fais de la suppléance dans les écoles primaires et secondaires à l'occasion et je vois des élèves en situation de handicap ou en situation de difficulté d'apprentissage dans les classes qui ont beaucoup plus d'adaptations que ce que moi, j'avais. Des enfants avec des ordinateurs pour différentes raisons, j'en vois quatre, cinq, six par class parfois. Moi, me mettre un ordinateur dans une classe à l'époque, c'était impossible. Maintenant, il y en a six qui travaillent sur des clés USB et tout, et ça semble fonctionner. Donc l’inclusion au niveau des écoles est mieux, l’inclusion au niveau des lieux de travail est meilleure. Ça avance à petits pas. Mais à chaque fois qu’un lieu travail… qu'il décide de s'adapter, on fait un pas. Mais il y a encore trop peu de choses qui sont fait. Il y a encore trop peu d'endroits qui sont adaptés. Il y a encore surtout trop peu de personnes en situation de handicap qui sont engagés. Il y a une grande majorité de personnes de situations de handicap qui sont obligés d'être sur les programmes gouvernementaux d'aide à la subsistance parce qu'ils trouvent pas d'emploi alors qu'ils ont des capacités. Et ça… la majorité du problème pour moi est là. C'est qu'en cachant ces gens-là dans leur maison et en les laissant
vivre sur des programmes gouvernementaux, non seulement ces gens-là, au niveau de leur santé mentale et physique, ce n'est pas bon, mais en laissant ces gens-là à l'extérieur des lieux de travail, à l'extérieur des lieux publics, on ne force pas les lieux de travail à s'adapter. Le jour où ces gens-là vont être dans les milieux de travail et qu'on va devoir faire des adaptations parce qu'ils ne sont pas capables de passer une porte, qu’ils ne sont pas capables d'entrer sur leur lieu de travail, ces jours-là, tout à coup, on va commencer à construire des adaptations pour ces gens-là. Mais c'est plus facile de laisser ces gens-là à la maison. Donc il y a beaucoup de travail à faire pour ça et pour inclure ces gens-là. Et quand ces gens-là auront été réellement inclus, ben au niveau d'adaptation des bâtiments, ça va être renforcé.
Elisanne: [00:53:58] Je sais aussi qu'en France, par exemple, les gens ont une obligation de quota au niveau des gens en situation de handicap. Donc les personnes et les entrepreneurs sont obligés d'accueillir des gens en situation de handicap de toute sorte dans leur environnement de travail, dans leur entreprise. Donc, c'est une des choses à laquelle on peut réfléchir au Canada. Non seulement d'avoir des politiques qui ne veulent rien dire, mais d'avoir des quotas d'obligations. C'est malheureux d'en arriver là, mais en même temps, en arrivant là et en mettant ces gens-là sur des lieux de travail, éventuellement, les travails vont s'adapter parce qu'ils n'auront pas le choix. Si leurs employés ne sont pas capables d'entrer par la porte principale, il va falloir trouver une façon de les faire entrer.
Chloë: [00:54:50] Finalement, quels conseils donnerez-vous à une jeune personne en situation de handicap qui veut lancer sa carrière?
Elisanne: [00:54:57] D'abord, bonne chance [rire]. Deuxièmement… mais je pense qu'il faut avoir de la persévérance. C'est clair, mais je pense qu'il faut avoir de la persévérance. Il faut aller cogner à plusieurs portes. Il faut être capable de montrer nos compétences, à être capable de montrer en quoi on a des compétences qui sont différentes des autres. Donc, oui, peut être que je travaille moins rapidement de quelque’un d’autre, mais j'ai une capacité au niveau de service à la clientèle, par exemple, j'ai plus de sensibilité aux gens, j'ai plus de sensibilité à leurs problèmes. Je suis quelqu'un qui a plus… qui a de l'expérience, qui est autre, je suis quelqu'un qui a de l'expérience en adaptation. Je suis quelqu'un qui a des expériences avec toutes sortes de difficultés humaines parce que je les ai moi-même vécu. Donc, je suis un plus-value pour votre entreprise, et c’est sur ça qu'il faut jouer en fait. Il ne faut pas se décourager, il faut jouer sur ses forces. Il faut dire en quoi avoir une personne en situation de handicap sur votre lieu de travail est un plus pour vous. Et c’est un plus. C'est un plus au niveau de l’image de l’entreprise, des capacités de ces gens-là, qui sont des capacités qui sont différentes des autres, de leur sensibilité aux différences, à leur sensibilité… souvent, c'est des gens qui travaillent très, très bien, sont très méticuleux. Donc, il faut mettre de l'avant. Je ne suis pas comme tout le monde, mais j'ai des qualités et des compétences que les autres n'ont pas.
Isabelle: [00:56:36] Et pour conclure, voulez-vous ajouter un dernier mot avant qu'on termine?
Elisanne: [00:56:41] Mais non, on a fait le tour, je pense qu'on a fait le tour des problématiques. Puis je pense que les projets comme le vôtre et bien d'autres font avancer les choses puisque que ça, c'est une bonne chose d’en parler. Puis, d’être… ben, de sortir des sentiers battus pour ce type de projet-là, qui sont, je le sais parce que je fais partie de la communauté universitaire, qui sont difficiles à faire subventionner, qui sont difficiles à faire prendre au sérieux, mais qui sont absolument essentiels, je pense, parce que de parlez de l'armée, de l'armée, de la guerre nationaliste, de ces beaux sujets, c'est super. Mais il faut aussi parler de sujets qui sont moins sexy, mais qui sont qui sont tout à fait importants. Donc, je suis tout content d'avoir pu participer, puis d'avoir pu vous aider dans ce projet-là.
Chloë: [00:57:41] Merci pour votre temps et pour votre avis.
Isabelle: [00:57:44] Merci Elisanne! Oui, c'était super intéressant.
[musique]
Isabelle: [00:57:58] Merci de votre attention. Nous espérons que vous avez aimé cet épisode de Broadcastability. Vous pouvez nous trouver sur Internet à leprojetproud.ca. Vous pouvez également nous rejoindre sur Facebook, Instagram, LinkedIn et YouTube.
[musique]
Isabelle: [00:58:23] Le balado Broadcastability est réalisé par le projet PROUD à Scarborough College à l'Université de Toronto et Timbres de Pâques Canada. La musique a été composée par Justin Laurie, l'art de couverture du balado et a été créé par Isabelle Avakumovic-Pointon. L’épisode fut également édité par Isabelle Avakumovic-Pointon.
[musique]
Chloë: [00:58:54] Nous remercions Scarborough College à l'Université de Toronto et notre partenaire pour ce balado Timbre de Pâques Canada pour leur aide. Nous tenons également à remercier nos partenaires financiers, le Conseil des recherches en sciences humaines du Canada, The Centre for Global Disability Studies, TechNation et The Catherine and Frederik Eaton Charitable Foundation.